-->

Ads

le travail comme source de sécurité sociale : un privilege convoité

le travail comme source de sécurité sociale : un privilege convoité

Les systèmes de sécurité sociale des pays de la méditerranée orientale et méridionale sont le plus souvent incomplets en termes de prestations, réduits en termes de couverture, et mis à mal par les difficultés budgétaires, en période d’appauvrissement et d’informalisation. La sécurité sociale reste pourtant attachée à un paradigme salarial qui a marqué les attentes et les représentations des deux ou trois dernières générations.

1.       Le paradigme salarial

Le profil du salarié légal tel qu’il s’est développé en paradigme est configuré par la législation du travail. Bien qu’avec de fortes modulations d’un pays à l’autre[1], ce profil tend vers celui d’un employé à durée indéterminée, qui percevra une pension de retraite, qui est assuré contre les accidents du travail et protégé contre les licenciements et le chômage, qui bénéficie d’une assurance de santé s’étendant à sa famille, et perçoit éventuellement des allocations familiales ; en quelque sorte, le salarié fordiste des Etats providence, en accord avec les conventions internationales du travail. Mais paradigme ne signifie pas généralisation. Le statut de salarié formel est essentiellement celui conféré par l’emploi public et, sauf en Tunisie, il n’est pas appelé à devenir un modèle pour l’ensemble des branches. Son extension est bloquée, et reste une des figures d’un privilège (plutôt que d’un droit).
Issu d’accords entre les Etats et les collectifs de travailleurs, le droit du travail réglemente l’existence des syndicats et les formes de négociation collectives. Les syndicats sont autorisés en Egypte et dans les pays du Maghreb, mais le niveau de syndicalisation est relativement bas dans la région, sauf en Egypte, et les syndiqués se trouvent surtout dans le secteur public. Si en Jordanie les négociations collectives n’existent pour ainsi dire pas, elles jouent un rôle important en Algérie, en Egypte, au Maroc et en Tunisie. Il demeure que le mouvement syndical est généralement très centralisé, et influence la formation des salaires plutôt par le biais de l’action politique (pressions, lobby) que par l’action ouvrière, comme les grèves (Agenor et alii, 2003). L’Egypte et les pays du Maghreb ont des lois sur le salaire minimum, qui ne s’appliquent guère en tant que telle dans le secteur privé (Said 1996). En Tunisie, seuls 11% de la population active est soumise au salaire minimum. Dans la plupart des pays, des dispositions légales visent à restreindre les licenciements dans le secteur formel et imposent des indemnités de licenciement souvent généreuses, calculées en fonction de l’ancienneté et du niveau de salaire perçu. Elles sont plus fortes en Algérie, en Egypte et en Tunisie, qu’en Jordanie ou au Maroc. La tendance est à l’assouplissement des règles de licenciement, de façon à permettre les restructurations estimées nécessaires, et à en diminuer les coûts pour les employeurs. En Algérie, la législation a été révisée en 1994, réduisant la prime de licenciement de 15 mois de salaire maximum à 3 mois maximum.
Sans surprise, la croissance du chômage, l’informalisation rapide des marchés du travail et l’appauvrissement en plein essor ont conduit la Banque mondiale à analyser la législation du travail et le paradigme salarial en termes de rigidités et d’interférences avec les mécanismes de marché : pour faciliter les embauches et les licenciements, encourager les entreprises à embaucher des personnes de bas niveau de qualification, améliorer la fluidité des marchés, il faudrait déréglementer, réviser les procédures de résolution de conflits et de négociations collectives. Les pratiques de recrutement des gouvernements auraient eu comme principal effet négatif d’enfermer du capital humain dans des emplois publics improductifs. De fait, on remarque dans tous les pays des vélléités à réformer le droit du travail, pour modifier le profil et les protections attachées au statut de salarié.

2.        La sécurité sociale

Les premières lois de sécurité sociale couvraient les accidents du travail (Algérie 1919, Tunisie 1921, Maroc 1927, Egypte 1936, Liban 1943, Syrie 1946, Israël 1953), mais des dispositifs partiels, couvrant plusieurs types de risques et fondés sur le principe des assurances sociales sont parfois nés bien avant. Dans les années 1940, le Liban, l’Algérie, la Tunisie et le Maroc promulguèrent des lois sur les allocations familiales , ce que fit Israël en 1959 (AISS 2002-2003) . Les restrictions sont diverses : conditions de ressources, plafonnement du nombre d’enfants, exclusion de certaines professions, durée des prestations. En Tunisie, les allocations régressent avec le nombre d’enfants, et sont plafonnées à trois, devenant ainsi un instrument de la politique de limitation des naissances (Chaabane 2002).
Les années 1950 virent le grand démarrage des lois instaurant l’assurance maladie et maternité (Algérie 1949, Israël 1953, Egypte 1959). Il s’adresse aux employés du secteur public, aux membres de l’armée et, dans certains pays, aux travailleurs formels du secteur privé, à travers des caisses d’assurance sociale. Partout, sauf en Israël, les systèmes d’assurance de santé pourvoient une couverture limitée, par-delà l’offre gratuite de certains services et soins. De surcroît, la couverture est faible en termes de part des dépenses effectives. Il en résulte que le système public est régressif : plus les ménages sont pauvres, plus la part des soins de santé qui reste à leur charge est élevée. Certains pays – Algérie, Egypte, Israël, Libye, Maroc – versent des revenus de remplacement en cas d’incapacité de travailler. Les systèmes de pensions (vieillesse, handicap, décès) furent eux aussi légalement codifiés à la même époque (Algérie 1949, Egypte 1950, Israël 1953, Libye 1957, Maroc 1959, Syrie 1959 et Tunisie 1960 ; la Jordanie plus tard : 1978). Les dispositifs d’assurance chômage, longtemps inutiles, font aujourd’hui figure de luxe. Ils existent en Algérie (depuis 1994), en Egypte (1959), en Israël (1970) et en Tunisie (1982). Plafonnées, les allocations peuvent être versées pendant trois ans en Algérie, mais seulement 28 semaines en Egypte, et trois mois en Tunisie (AISS 2002 – 2003, Ruppert Bulmer 2002) . La tendance est à développer des programmes de substitution, dans le cadre de la lutte conte la pauvreté, en particulier sous la forme de micro-finance.

 




Maladie et maternité





Vieillesse, handicap,
survivants
Versements en espèces pour es deux
versements en espèces + soins médicaux (a)
accidents du travail
chômage
allocations familiales

Algérie
X
X
X
X
X
X

Egypte
X
X
X
X
X
b

Israël
X
X
X
X
X
X

Jordanie
X
b
b
X
b
b

Liban
X
X
X
X
b
X

Libye
X
X
X
X
b
b

Maroc
X
X
d
X
b
X

Syrie
X
b
b
X
b
b

Tunisie
X
X
X
X
X
X



a: couverture pour les soins de santé, l'hospitalisation, ou les deux



b: pas de programme ou information non disponible














Source: AISS 2002 et 2003

Trois pays peuvent être signalés pour leurs performances en matière de sécurité sociale : l’Egypte, la Tunisie et Israël.
Le système égyptien de sécurité sociale est actuellement l’un des plus complets d’Afrique et du monde arabe. Fondé par une loi de 1975 pour couvrir les fonctionnaires et les employés des entreprises publiques et privées, il fut étendu en 1976 aux travailleurs indépendants, en 1978 aux travailleurs à l’étranger, et en 1980 aux journaliers. Il couvre la retraite, le handicap, le décès, les accidents du travail, la maladie, les soins de santé, la maternité et le chômage. Les système est géré par deux caisses (privé / public). Il vise à procurer des revenus de remplacement à des niveaux assez élevés. Toutefois, le système faillit dans ses intentions de couverture universelle, notamment pour les travailleurs indépendants et les journaliers, et surtout pour les travailleurs de l’informel, exclus de fait (ILO 2000b).
En Tunisie[2], l’histoire du système de sécurité sociale de remonte à 1898, avec l’établissement d’une caisse de retraite pour les employés du service public, qui se développa tout au long des décennies suivantes. En 1921, des mesures partielles visant le secteur privé commencèrent à être prises. 1960 vit un élargissement significatif des prestations et de la couverture, suivi d’une progression continue de mesures destinées à intégrer de nouvelles catégories et garanties. En 1999, le nombre de personnes susceptibles d’être couvertes par un système de sécurité sociale était estimé aux deux tiers de la population active et à 83,5% de la population employée. Les 16,5% restant étaient constitués des travailleurs agricoles irréguliers, des travailleurs des projets communautaires aidés, les employés domestiques, les aides familiaux, les membres du clergé et les chômeurs.
Le niveau effectif de couverture a progressé grâce à l’adaptation des conditions de fixation et de recouvrement des contributions aux conditions spécifiques d’exercice des activités, mais aussi à la mise en œuvre de mesures d’inspection et de contrôle et à la consultation des représentants des employés et des employeurs à toutes les étapes de mise en place du système. Mais il faut également prendre en considération un changement de mentalité, et des campagnes de conscientisation, ainsi qu’un rôle actif de la part des syndicats y ont contribué. La valeur exemplaire des avantages de la sécurité sociale, qu’elle couvre la maladie ou la retraite, a suscité une large demande auprès des nouvelles générations. 
Si le versement des contributions approche 100% pour les employeurs, il ne dépasse toutefois pas les 47-66% pour les travailleurs indépendants. Ainsi, en 1999, les employés du secteur public étaient pratiquement tous couverts, y compris les contractuels, et le taux effectif de couverture des salariés du secteur privé formel non agricole était de 97,15%, contre 73,15% en 1989. En dépit de notables progrès, dans les autres secteurs, les résultats ne sont pas encore aussi probants : un peu plus de la moitié des travailleurs indépendants habilités à être couverts étaient effectivement enregistrés, contre moins de 15% en 1989. La progression est similaire pour les travailleurs agricoles, mais le taux de couverture demeure très bas pour les petits paysans et les pêcheurs (autour de 30%). Des aménagements récents doivent permettre d’élever ces taux.
Le système est géré par deux caisses – respectivement pour le secteur privé et public – sur une base tripartite, dans lesquelles la supervision de l’Etat est dominante. Le déficit de certaines caisses (notamment agricoles) est compensé par le surplus d’autres, de façon à ce que le système soit globalement bénéficiaire. Les compagnies privées d’assurance, et les mutuelles n’interviennent que peu. Les risques couverts incluent des prestations de santé en nature, des revenus de remplacement en cas de maladie, d’accident du travail ou de maternité, des pensions d’invalidité et des allocations ciblées. Des mesures d’aide sociale financées par le budget de l’Etat complètent le dispositif à l’égard des très pauvres, des personnes âgées démunies et des handicapés, et une assistance médicale gratuite sous condition de ressources est accessible aux personnes non couvertes par la sécurité sociale.
L’étude citée se conclut sur l’idée que, si l’application de la législation a été déterminante dans le progrès de la Tunisie vers l’universalisation de la sécurité sociale, des efforts constants d’adaptation et de l’imagination sont nécessaire pour garantir une progression sur une base solide. Les changements de mentalité et la confiance liée à la transparence de la gestion des fonds en ont aussi été des composantes essentielles.
Quant au système israélien de sécurité sociale, il est similaire à celui des pays d’Europe occidentale, pour ce qui est de sa complexité et de l’étendue de sa couverture légale (ILO 2000a). Cohen et Shaul (1998) ont comparé le niveau des revenus de remplacement versés en Israël en cas de chômage, maternité et accidents du travail avec ceux de seize pays européens occidentaux. En effet, « bien qu’Israël ne soit pas un pays de l’Union européenne, il aspire aux normes  économiques et sociales du monde occidental ». En combinant plusieurs variables en un indice synthétique - niveau et durée de l’indemnisation, durée minimale de cotisation, conditions d’éligibilité - ils montrent qu’Israël se situe dans une position médiane par rapport  aux autres pays pour ce qui est des allocations de maternité et d’accident du travail, mais plutôt basse en terme d’indemnités de chômage.
Ces derniers mois, des restrictions croissante ont été imposées à l’accès à certaines prestations, en particulier celles relevant de la politique familiale et de l’assistance. La dimension assistancielle de la sécurité sociale est remise en cause pour des raisons idéologiques, mais aussi parce que l’Etat la finance pour près de la moitié : 45% du financement est pris en charge par le budget public. Cette étatisation rend le système de sécurité sociale vulnérable aux changements des priorités politiques et aux choix budgétaires. Des fractures sociales, mais aussi spatiales et ethnico-religieuses menacent de se creuser à nouveau. En particulier, un débat important a lieu en ce moment sur les conditions d’accès aux allocations familiales et les prestations versées aux familles nombreuses, dans lequel interviennent plusieurs facteurs : le fait que les familles juives religieuses sont les principales bénéficiaires de ce programme alors qu’elles ne n’entrent généralement pas dans les forces armées et vivent souvent dans un assez grand dénuement matériel ; et le fait que les diverses restrictions visent à exclure les familles israéliennes palestiniennes de ces prestations, alors qu’elles maintiennent de hauts niveaux de fertilité ; et finalement, la pertinence politique, économique et sociale d’encourager ces deux groupes à avoir des familles très nombreuses. (Doron 2003)
Les Etats ont joué des rôles fondamentaux dans la mise en place et le développement des systèmes de sécurité et d’assurances sociales. Tous les pays ont tenté de respecter les conventions et les recommandations du BIT et de l’Organisation arabe du travail dans le développement de leur système de sécurité sociale et d’assurance sociale. Une priorité a généralement été accordée à la protection contre le risque d’invalidité, de handicap et d’accident du travail (Gillion et alii 2000).
Mais si les gouvernements sont responsables des programmes de sécurité sociale, la coopération entre les employeurs et les employés a été encouragée et, dans la plupart des cas, les systèmes sont financés par des contributions des deux parties, l’Etat s’engageant à couvrir les déficits (comme en Jordanie). Sauf au Liban, où seul l’employeur finance, employeurs et employés contribuent au financement des caisses de retraite, les premiers plus que les seconds . La base de contribution est fixée selon des principes divers. En Egypte, des bases minimales sont fixées pour les différents corps de métier. Les travailleurs  indépendants doivent s’acquitter du total de la contribution employé + employeur, mais peuvent choisir la tranche de leur base de contribution, sauf les chauffeurs de taxis qui sont soumis à une contribution forfaitaire lors du renouvellement de leur licence. En Jordanie, les employeurs soumettent une déclaration annuelle, qui sert de référence pour les contributions de toute la période. Les travailleurs en dessous de 16 ans sont exemptés de contribution. Sauf en Israël, où l’Etat contribue massivement au financement du système, les contributions représentent la principale source de financement des systèmes de sécurité sociale : 82% en Tunisie, 65% en Jordanie, 84% en Syrie, le reste provenant de revenus du capital. (Gillion et alii 2000).


 
Tableau 5:
Taux contributifs pour les programmes
de sécurité sociale 2002 ou 2003
en pourcentage

Vieillesse, handicap, survivants
Ensemble des programmes de sécurité sociale (a)

Assuré
Employeur
Total
Assuré
Employeur
Total
Algérie (b)
5,5 ©
13,5 ©
8,5
24 (d)
32,5
Egypte (g)
13
17
30
14
26
40
Israël (g)
2,15 (e)
2,29 (e)
4,44 (e)
5,73 (e)
4,89 (e)
10,62 (e)
Jordanie
5,5
9
14,5
5,5
11
16,5
Liban (g)
0
8,5
8,5
2
21,5 (f)
23,5
Libye
3,75 (i)
10,5 (i)
14,25 (i)
5,25
12,95 (i)
18,2
Maroc (g)
3,96
7,93
11,89
4,29
16,1 (f)
20,39
Syrie
7
14
21
7
17
24
Tunisie
3,68
7,37
11,05
7,74
15,91
23,65

a :  Inclue la vieillesse, le handicap et les survivants; la maladie et la maternité; le chômage; 
et les allocations familiales. Dans certains pays, le taux peut ne pas couvrir l'ensemble de ces programmes. Dans certains cas, seulement certains groupes, comme les salariés, sont représentés. Quand le taux de contribution varie, soit la moyenne soit le taux le plus bas est utilisé.
b:  données vieilles d'au moins 4 ans
c :  des contributions financent les allocations vieillesse seulement
d : une contribution forfaitaire est versée pour les allocations familiales également
e : les contributions varient  pour les revenus  situés au dessus ou en dessous la moitié du salaire national moyen
f :  les employeurs couvrent le coût total du programme accidents du travail
g : les contributions sont soumises à un plafond pour certaines allocations
i : incluse aussi les taux de contribution pour d'autres programmes
Source : AISS 2002 et 2003
Une étude montre que la proportion de contributions dans le revenu budgétaire des pays ANMO non pétroliers est beaucoup plus basse que dans les pays industriels mais plus haute que dans les pays à revenu intermédiaire. La Tunisie (16,84%), l’Egypte (9,72%), l’Iran (6,31%) et le Maroc (6,67%) ont en 1996 des ratio de contribution de sécurité sociale au revenu budgétaire global plus élevé que dans d’autres pays de la région ANMO. En Tunisie elles ont presque doublé entre 1980 et 1996, et au Maroc elles ont augmenté de près de 50% (Jalali-Naini 2000). Les contributions à la sécurité sociale représentent jusqu’à la moitié du total des dépenses salariales pour les Etats.
Les contributions à la sécurité sociale (pensions, santé, famille…) atteignent de 13% à 40% du coût salarial pour les employeurs du secteur privé : 25% en moyenne au Maroc et en Tunisie, plus de 36% en Algérie. Pour la Banque mondiale, cette charge, à laquelle peuvent s’ajouter diverses autres contributions (assurance accident, formation, couverture médicale..) décourage l’embauche formelle, pour pousser les employeurs soit à ne pas déclarer leurs employés, soit à adopter des techniques de production intensives en capital (World Bank 2003). L’enjeu résiderait dans une modification de la répartition des coûts contributifs : les contributions à la sécurité sociale, pour ne pas alourdir les charges salariales des employeurs, devraient être totalement prises en charge par les employés sous la forme de salaires nets plus bas. Ainsi, il n’existerait plus de différence entre l’offre d’emploi formelle et informelle, dès lors que les travailleurs eux-mêmes assumeraient la décision et les charges afférentes, sous une forme ou une autre. Les baisses salariales permettraient ainsi à des travailleurs non qualifiés de trouver des emplois déclarés dans des entreprises formelles, et contribuerait à leur faire bénéficier de la protection sociale.
Une des raisons de la fragilité des systèmes de sécurité sociale se trouve dans de forts taux de dépendance : d’un maximum absolu de 120 inactifs pour 100 actifs (15-65 ans) dans la bande de Gaza, ce taux se situe aux alentours 80 en Jordanie et en Syrie, plus près de 70 en Algérie, en Egypte et en Libye, et proche de 60 inactifs pour 100 actifs au Maroc, en Tunisie, en Israël et au Liban (ILO 2000a). Alors que les taux d’accroissement de la population chutent dans la région, le rapport entre la population active et la population totale va s’accroître au cours de la prochaine décennie, et donc aussi le potentiel pour augmenter les contributions de sécurité sociale (Jalali-Naini 2000). Toutefois, potentiel ne signifie pas effectif : comme on l’a vu plus haut, les tendances à l’informalisation vont plutôt dans le sens de prélèvements sociaux plus faibles. Ce potentiel peut aussi se diriger vers des dispositifs privés ou communautaires / associatifs d’assurance, alternatifs ou complémentaires qui, pour le moment, sont très peu développés dans la région.

3.       Les systèmes de pension

Le poids des systèmes de pension obligatoires dans le total des dépenses de sécurité sociale varie d’un tiers (Israël) aux trois quarts (Maroc), la Tunisie se trouvant en position intermédiaire (60%). Il semble que, plus les dépenses de sécurité sociale pèsent lourd dans le PIB, moins le poids des pensions y est important : les systèmes les plus développés reposent en effet sur des dispositifs plus variés, alors que les systèmes les plus minimalistes se centrent sur les pensions.
Dans la plupart des cas, les systèmes des fonctionnaires sont séparés de ceux couvrant le secteur privé. Depuis 1984 en Algérie, et 1981 en Libye, toutefois, les systèmes ont été intégrés. Pour l’ensemble de la région, les caisses de pension relèvent de façon prédominante d’un financement de sécurité sociale, géré par une institution publique autonome. Elles sont administrées par des représentants des travailleurs et des employeurs, mais la législation établit la tutelle d’un organisme ou d’une corporation publique, dont un Ministre (généralement celui du travail) est responsable. Le degré d’autonomie des institutions de gestion paritaire varie, et souvent les gouvernements ont une grande influence sur la gestion des organismes e sécurité sociale par le biais des contrôles et nominations. En Jordanie, au Liban et en Syrie, les caisses sont supervisées par un conseil exécutif tripartite, dans lequel l’Etat possède plus de représentants que les employeurs et les employés, à égalité[3] (Gillion et alii 2000).
Les systèmes sont considérés comme relativement généreux. Toutefois, moins que dans d’autres régions du monde, les pays font face à un besoin urgent de réformer leurs systèmes pour des raisons d’insolvabilité financière. En outre, du fait que les populations sont relativement jeunes, il n’est pas encore nécessaire de retarder l’âge de la retraite. En revanche, l’on constate que certains pays permettent la perception de la pension à des âges relativement précoces, avec peu d’années de contribution et de faibles pénalités : 10% en Jordanie pour un départ à la retraite à 46 ans, avec 15 ans de cotisation. En Tunisie, la durée minimale de cotisation pour une pension de pré-retraite (à partir de 50 ans) , est de 30 ans, avec une pénalité de 2% par an. La pré-retraite tend à être utilisée comme dispositif de réduction des effectifs de la fonction publique. Avec vingt ans d’emploi, au Liban, quel que soit leur âge, femmes et hommes peuvent recevoir leur pension entière (sous forme d’un capital) ; en Algérie à partir de 50 ans pour les hommes et 45 pour les femmes, et en Syrie et en Egypte à partir de 55 ans. En Egypte, un quart des retraités en moyenne (public : 26% et privé : 23%) sont des pré-retraités. Les pénalités ne sont que de 1% par année d’avance sur l’âge légal (ILO 2000b). La pension est versée pour un départ à la retraite à 60-65 ans avec moins d’années de cotisation encore : 17 ans en Algérie, 15 ans en Syrie, 12 ans en Israël, 10 ans en Egypte et en Jordanie. Au Maroc, les travailleurs qui n’ont pas cotisé le nombre d’années requis n’ont droit à aucune pension. Les femmes bénéficient souvent de clauses spéciales. Ainsi, en Algérie et en Tunisie, leurs responsabilités de mères de famille sont explicitement prises en compte pour la fixation de l’âge minimum de la retraite (Gillion et alii 2000). Parfois, des dispositifs d’assistance complètent ceux de sécurité sociale, comme en Egypte pour les femmes de plus de 50 ans, dont on reconnaît qu’elles ont peu d’opportunités d’emploi. De cette façon, la lutte contre la pauvreté est coordonnée avec les objectifs de politique sociale.
Les programmes publics de pension existant fonctionnent par répartition et les pensions sont versées sous forme d’annuités, à l’exception du Liban, où l’employeur verse des pensions sous forme de capital (sauf aux fonctionnaires et membres de l’armée) et qui est en train de réformer son système avec l’accompagnement du BIT. Les pensions de retraite sont généralement basées sur les salaires d’une période de référence relativement courte : trois ou cinq ans au Maroc et en Tunisie, trois ans en Libye et en Algérie, deux ans en Egypte, en Jordanie, en Syrie. Lorsque le montant des pensions dépend des tout derniers salaires, on tend à observer des tentatives de manipulations pour augmenter le montant de la pension, en augmentant artificiellement le niveau des dernières rémunérations par un accord entre employeur et employé (ILO 2000b, Gillion et alii 2000).
Les versements démarrent souvent avec des pensions qui apparaissent très généreuses, perceptibles à un âge précoce : jusqu’à 70 ou 80% des derniers salaires. En Tunisie, par exemple, un salarié peut se retirer après 30 ans de service seulement et dès 50 ans d’âge, et percevoir 80% de son salaire moyen des trois dernières années. Cependant, aucune des caisses de pensions n’indexe ces dernières systématiquement, de façon à ce que l’évolution de la valeur réelle des pensions dépend du niveau de l’inflation et des ajustements discrétionnaires (World Bank 2002). En Egypte, seule une partie des rémunérations est assurée et les salaires sont souvent sous-déclarés, ce qui contribue à ce que les pensions soient très basses (ILO 2000b). Pour autant, dans la région, les dispositifs volontaires et complémentaires ne constituent pas une source importante de revenus (Gillion et alii 2000).
Bien que les taux de couverture tendent à être meilleurs qu’en Afrique ou en Asie, les pays de la région ne parviennent pas généralement à couvrir tous les travailleurs avec leurs programmes de pension de retraite. Il est important de distinguer entre la couverture des travailleurs nationaux et des non-nationaux, puisque le marché du travail dans cette région se caractérise par un grand nombre de travailleurs migrants originaires de la région ou d’en dehors de la région. En dépit de conventions internationales qui exigent l’égalité de traitement entre nationaux et non nationaux, certains pays excluent les travailleurs étrangers des dispositifs de retraite (mais pas de la couverture des accidents du travail) soit explicitement (comme le Liban pour les Palestiniens, en raison de l’absence de réciprocité), soit de facto, comme conséquence des politiques de recrutement ou des dispositifs d’octroi de permis de résidence et de séjour ; lorsque les résidents sont couverts (Israël, Libye), les travailleurs immigrés sont souvent des non-résidents. Et si la Jordanie et l’Egypte, par exemple, ont signé des accords bilatéraux pour garantir la préservation et/ou la convertibilité des droits lors d’un retour des migrants dans leurs pays d’origine, de fait, la plupart des migrants travaillent dans des activités informelles et non déclarées (construction, services surtout). Ils sont donc exclus de facto de la protection de la sécurité sociale. La couverture des travailleurs migrants, qui recoupe celle des travailleurs informels, demeure donc un réel problème pour la région (Gillion et alii 2000).
Nationaux ou étrangers, les travailleurs journaliers ou occasionnels, les indépendants, les employés domestiques ou les travailleurs familiaux sont souvent exclus. En Jordanie, seuls les employés d’entreprises de plus de cinq personnes sont couverts. Au Maroc, les travailleurs indépendants ne sont pas couverts. Au Liban, les travailleurs agricoles temporaires sont exclus comme, en Syrie, les employés domestiques, les employés irréguliers et les travailleurs familiaux. Partout, il est difficile de rendre effective l’affiliation des non-salariés, des travailleurs employés dans des très petites entreprises, ou des travailleurs irréguliers, même s’ils sont légalement couverts par le système. En Algérie, en Egypte et en Tunisie, les travailleurs indépendants sont en principe astreints à une contribution obligatoire, mais l’évasion est aisée et les niveaux réels de couverture bas. Comme on l’a vu, en Tunisie, au cours des dernières années, la multiplication des contrôles et des mesures punitives a contribué à significativement augmenter la couverture de toutes les catégories de travailleurs. En Egypte, la participation des travailleurs indépendants est jugée raisonnable, mais les assiettes de cotisation sont souvent sous-déclarées. Quant aux journaliers, ils sont couverts par le régime de pension en échange d’une contribution symbolique, à perte pour le budget public (ILO 2000b). 
Finalement, les taux de couverture, rapportés à la population active, demeurent relativement faibles à la fin des années 1990. Pour l’ensemble de la région, de 18% à 34% de la population en âge de travailler contribue aux caisses de pension. En 1995, au Maroc, moins de 20% des actifs cotisaient à une caisse de retraite, et 17,2% des plus de 60 ans percevaient une pension de retraite. En Jordanie, en 1996, 27,1% des actifs cotisaient, et la moitié en Egypte. En Israël, en revanche, en 1993, 100% des actifs cotisaient, et 79,4% des plus de 60 ans percevaient une pension (Gillion et alli 2000).



Population
totale
(millions)
% de
plus de
65 ans
taux de
Dépen-
dance (a)
Espérance de vie à la naissance (années)
Age légal de la
retraite
Age de la retraite
anticipée
PIB par
tête



H
F
H
F
H
F
(US$)
Algérie
30,2
4,1
63,8
68,7
71,8
60
55
50
45
5 308
Egypte
67,8
4,1
65,3
66,7
69,9
60
60
c
c
3 635
Israël
6
9,9
61,6
77,1
81
65
60
c
c
20 131
Jordanie
4,9
2,8
74,9
69,7
72,5
60
55
45
45
3 966
Liban
3,4
6,1
59,2
71,9
75,1
64
64
60
60
4 308
Libye
5,2
3,4
59,5
69,2
73,3
65
60
c
c
7 570
Maroc
29,8
4,1
63,4
66,8
70,5
60
60
c
c
3 546
Syrie
16,1
3,1
78,5
70,6
73,1
60
55
55
50
3 556
Tunisie
9,4
5,9
55,2
69,6
72,2
60
60
50
50
6 363

a: population de moins de 14 ans + population au-dessus de 65 ans, divisé par population âgée de 15-64 ans.
b: Age général de passage à la retraite, exclue les retraites anticipées pour des groupes spécifiques d'employés
c: le pays n'a pas d'âge de retraite anticipée, ou pour des groupes spécifiques, ou l'information n'est pas disponible
Source : AISS 2002 et 2003

La Banque mondiale émet un jugement très négatif sur les systèmes de pensions existants dans les pays arabes : ils sont mal conçus, ils sont inefficaces, les réserves sont mal gérées, et les services ne sont souvent pas distribués comme ils le devraient. Le rendement des investissements des fonds est bas, voire négatif, comme c’est le cas en Tunisie et en Egypte pendant de longues périodes. La raison en est que les réserves des systèmes de pension sont utilisées pour subventionner d’autres programmes gouvernementaux (des programmes d’assistance en Algérie, un programme de logements sociaux jusqu’en 1992 puis un programme d’assistance chômage en Tunisie). De surcroît, l’évasion contributive est très répandue : s’il est vrai qu’une partie de la population non couverte n’est pas astreinte à cotiser de par la loi, la plupart, selon la Banque mondiale, se retrouvent sans pension parce qu’ils échappent aux cotisations du secteur formel. Encore une fois, on constate le préjudice que l’informel fait subir aux systèmes de retraite : alors que le ratio entre les personnes en âge de travailler (20 - 59 ans) et les personnes de plus de 60 ans est de 10 en moyenne pour la population en général, à l’intérieur des systèmes de pension il n’y a que de 3 à 5 travailleurs par retraité. L’informel représente des segments de la population qui ne payent ni contributions sociales ni taxes. Or ce sont autant de personnes qui, une fois âgées et ne bénéficiant pas de pensions, vont peser sur les systèmes publics d’assistance (World Bank 2002). Ces fuites conduisent à une augmentation des cotisations, qui décourage les cotisants. Moins de travailleurs formels aujourd’hui, moins de retraités bénéficiant d’une pension demain.
Ainsi, poursuit la Banque, les systèmes de pension sont très coûteux pour les travailleurs, mais n’engendrent que des prestations réduites. Il en résulte une faible incitation pour que les travailleurs s’acquittent de leurs cotisations : les systèmes de pension ne sont pas toujours une bonne affaire pour les salariés. Les contributions aux systèmes de pension atteignent de 8% à 14% du coût salarial en Algérie, en Libye, au Maroc et en Tunisie, avec des différences importantes selon qu’il existe un plafond de salaire ou non. En revanche, les niveaux de pension sont parfois très bas : comme le montant des pensions est fixe jusqu’à la fin de la vie du retraité, elles se dévalorisent rapidement en termes réels. Encore une fois, l’incertitude sur le niveau des prestations retirées du système conduit les cotisants à se méfier et à considérer les contributions comme une taxe. Elle encourage l’évasion vers l’informel de jeunes retraités. Le problème des systèmes de pension peut se résumer ainsi : trop peu d’argent réparti entre trop de gens (World Bank 2002).
A cet égard, la Banque mondiale se demande ce qui conduit à ce que ces systèmes coûtent si cher et rapportent si peu, et encourage des réformes (Maroc, Tunisie, Liban, Jordanie) allant dans le sens de retarder l’âge de la retraite, baisser le montant des pensions initiales, et les indexer sur l’inflation, afin que les pensions ne disparaissent pas tout simplement. Le système des pensions ne doit plus être utilisé comme un dispositif d’assurance chômage. Finalement, la Banque promeut l’unification des systèmes particuliers, l’amélioration des performances financières et l’introduction de dispositifs de capitalisation. (World Bank 2002).
Ajoutons que, à l’instar du reste du monde, l’équilibre des systèmes de pension de la région est menacé par le vieillissement de la population. Alors que l’espérance de vie a crû de 50% depuis les années 1950, et surtout dans les pays dont la croissance démographique est la plus faible, la population âgée va commencer à augmenter plus vite que les autres groupes (projection : 4% par an en moyenne au cours des 25 prochaines années contre 1,4% pour la population totale, World Bank 2002). Les taux de dépendance des personnes âgées vont s’accroître à court terme (estimation : + 50% d’ici à 2025). On ne peut que remarquer, toutefois, que tant le poids de la population au-dessus de 60 ans (de 5% à 7%, à l’exception d’Israël : 12,7% ) que celui des pensions dans le PIB (autour de 2% en moyenne) restent bien en dessous d’autres pays. En revanche, les possibilités avantageuses de retraite anticipée pèse dans les budgets des caisses : en Egypte, le ratio des retraités sur le nombre de personnes âgées est de 241%, alors qu’en Jordanie il est de 111%, en Tunisie de 73% et au Maroc de 36% seulement. (World Bank 2002).


[1] - La législation est plus libérale au Maroc, en Syrie et au Liban que dans les autres pays.
[2] - Les paragraphes suivants sont synthétisés à partir de Chaabane 2002.
[3] - Les territoires palestiniens ont deux systèmes de pension pour les fonctionnaires, un pour la Cisjordanie et l’autre dans la bande de Gaza, dont les constructions sont différentes.

Iklan Atas Artikel

Iklan Tengah Artikel 1

Iklan Tengah Artikel 2

Iklan Bawah Artikel