Résumé du cours de philosophie morale
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Résumé du cours de philosophie morale
1. La morale et la philosophie morale :
La question centrale de cette
première partie est la suivante : qu’est-ce que la morale ? Elle a
pour but de mettre en évidence et d’éclaircir le concept de devoir et celui de
bien.
1.1. La morale :
1.1.1.
La morale est l’ensemble des devoirs que les hommes doivent remplir afin de
mener une vie bonne.
1.1.2.
Le bien est formellement la norme suprême à l’aune de laquelle se mesure la
valeur morale des choix et des actes.
1.1.3.
Les devoirs sont des règles qui interdisent ou rendent obligatoires certains
choix ou certains actes. Ils se déduisent du bien, qui fixe un modèle de vie
aux individus.
1.1.4.
Il faut distinguer le bien de l’utile. Le bien est ce qui permet de mesurer la
valeur morale d’un choix ou d’un acte, tandis que l’utile est ce qui permet
d’en mesurer la valeur technique. Le bien concerne principalement la fin de nos
actions, tandis que l’utile n’en concerne que les moyens.
1.1.5.
Il faut distinguer les actes moraux des actes immoraux et des actes amoraux. Un
acte immoral est un acte contraire aux devoirs moraux. Un acte amoral est un
acte qui n’est ni moral ni immoral. Un acte moral est un acte respectueux des
devoirs moraux.
1.2. Les devoirs moraux et les devoirs politiques :
1.2.1.
Il serait possible de confondre les devoirs moraux avec les devoirs politiques.
De fait, de nombreux devoirs moraux sont aussi des devoirs politiques.
1.2.2.
Mais les devoirs moraux et les devoirs politiques sont néanmoins
distincts : a) les devoirs moraux concernent la vie individuelle, tandis
que les devoirs politiques concernent la vie collective ; b) les devoirs
moraux se préoccupent de tous les domaines de la vie des individus, tandis que
les devoirs politiques ne se préoccupent que du domaine de la vie
collective ; et c) les devoirs politiques sont des devoirs moraux, mais
tous les devoirs moraux ne sont pas des devoirs politiques.
1.3. La possibilité d’une philosophie morale :
1.3.1.
L’une des tâches principales de la philosophie morale est de définir le bien.
Mais cela semble présupposer qu’il soit possible d’étudier rationnellement et
impartialement les croyances morales. Pourtant, il y a des raisons de croire
que les croyances morales sont irrationnelles et plus ou moins arbitraires.
1.3.2.
Certaines sciences étudient rationnellement et impartialement les croyances
morales. Dans L’éducation morale,
Durkheim soutient que les croyances morales sont inculquées aux individus
membres d’une même société par les institutions sociales auxquelles ils sont
soumis. Cette inculcation des croyances morales a pour fonction d’harmoniser en
amont les actions individuelles.
Dans
le Malaise dans la civilisation,
Freud soutient que les croyances morales proviennent des autorités sociales et
familiales, et que la conscience morale est le résultat de l’introjection des
interdits sociaux et familiaux. Une fois encore, le but des croyances morales
est de pacifier les sociétés humaines, grâce à la répression désirs
individuels.
Mais
ces sciences n’étudient pas le contenu des croyances morales. Elles ne
cherchent pas à savoir ce qui est bien et ce qui est mal. Elles se bornent à
étudier les causes, les origines de ces croyances.
1.3.3.
Le relativisme moral est la position philosophique qui nie qu’une connaissance
morale soit possible et même, parfois, qu’il existe des croyances morales
sensées, c’est-à-dire susceptibles d’être vraies ou fausses : a) Hume, le Traité de la nature humaine : la
valeur morale d’un choix ou d’un acte varie selon les individus et les espèces ;
donc la valeur morale n’est pas une propriété intrinsèque des choix et des
actes ; donc encore la valeur morale est fixée par la réaction
passionnelle (ou sentimentale) d’un individu confronté à une situation
donnée ; et donc si la connaissance est nécessairement objective et que la
réaction passionnelle est nécessairement subjective, alors il n’y a pas de
connaissance morale ; b) Pascal, les Pensées :
la connaissance aboutit au consensus ; or il n’existe aucun consensus
moral parmi les hommes ; donc il n’existe pas de connaissance
morale ; et c) Weber, Le savant et
le politique : une croyance morale repose sur une évaluation ; or
toute évaluation repose sur un code moral, même implicite ; or il n’existe
aucun code moral universel ; donc il n’y a pas de connaissance morale.
Les
croyances morales ne proviennent donc ni de la raison ni de la nature. Elles
sont arbitraires et tout choix moral est un choix arbitraire.
1.3.4.
Le relativisme moral a deux conséquences possibles : a) une tolérance
radicale : s’il est impossible de justifier rationnellement la valeur d’un
choix ou d’un acte, alors toute préférence morale est arbitraire et tout
reproche repose sur un rapport de domination (critique de
l’ethnocentrisme) ; donc il faut choisir entre imposer arbitrairement des
croyances morales ou tolérer toutes les croyances morales ; ou b) une
intolérance radicale : s’il est impossible de résoudre rationnellement
tout différend moral, alors, pour imposer un consensus moral, il faut recourir
à la domination arbitraire.
La
tolérance radicale peut aboutir elle-même à une amoralité complète : plus
rien n’est bon ni mauvais.
1.3.5.
L’universalisme moral est la position philosophique qui soutient qu’il existe
des croyances morales sensées et qu’une connaissance morale est possible :
a) toutes les sociétés humaines admettent certaines croyances morales et en
refusent d’autres ; b) Rousseau, l’Emile :
il semble exister des croyances morales universellement partagées ; c) il
est possible d’expliquer la variété des croyances morales par l’erreur :
certaines croyances morales pourraient être fausses ; et d) il est
toujours possible aux hommes de critiquer les croyances morales de leurs
sociétés.
1.3.6.
L’universalisme moral a deux conséquences : a) les universalistes moraux ne
partagent pas la tolérance radicale des relativistes moraux : il y a
certaines croyances morales qui ne peuvent être rationnellement tolérées ;
et b) les universalistes moraux prônent une morale universelle, censée
s’appliquer à tous les hommes indépendamment de leurs différences culturelles,
sexuelles, raciales ou sociales.
1.4. Le relativisme moral et la tolérance :
1.4.1.
Les universalistes moraux sont donc moins tolérants que les relativistes
moraux. Comme les croyances scientifiques vraies sont censées être admises de
tous, les croyances morales vraies devraient elles-mêmes finir par être
partagées par tous. Ne faut-il donc pas qu’au nom de la morale, les dirigeants
d’un Etat imposent à tous leurs sujets leurs propres croyances morales ?
Si la tolérance est le respect des croyances d’autrui, même lorsque ces
croyances sont douteuses, fausses ou simplement différentes des siennes, alors
il semblerait que l’universalisme moral fût incompatible avec la tolérance
(Hobbes, le Léviathan).
Par
ailleurs, la tolérance permet à des croyances fausses ou dangereuses de se
répandre dans la population et, ce faisant, de corrompre son esprit et son
cœur. Ne faudrait-il pas, au nom du bien et de la vérité, empêcher certaines
croyances d’être rendues publiques ?
1.4.2.
Mais ce n’est pas nécessairement vrai. La tolérance n’implique pas
nécessairement le relativisme moral. Le renoncement à la distinction entre le
vrai et le faux n’est pas une condition nécessaire à la tolérance : a)
Locke, la Lettre sur la tolérance :
l’intolérance est à la fois vaine et dangereuse ; b) Spinoza, le Traité théologico-politique : la
censure est inefficace, car elle ne peut empêcher les hommes de penser et que
le débat rationnel et libre permet seul d’éliminer les croyances fausses, et
elle est dangereuse, car, d’une part, elle oppose l’Etat aux citoyens
raisonnables et que, d’autre part, elle favorise les citoyens
déraisonnables ; c) Kant, Qu’est-ce
que les Lumières ? : la censure est une forme de tutelle
intellectuelle qui, au nom du bien public, rend les hommes incapables
d’apprendre à bien penser et qui ôte tout mérite à celui qui pense bien ; et d)
tolérer une croyance ne signifie nullement l’admettre.
1.4.3.
Il semble donc possible d’être à la fois un universaliste moral et un partisan
de la tolérance. Et, d’ailleurs, il serait possible de dire que seul un
universaliste moral peut être tolérant, car la tolérance est une valeur morale
et que défendre la tolérance implique de la tenir pour une chose réellement
bonne. Or un relativiste moral ne peut justifier la tolérance, car aucune
valeur morale n’est pour lui justifiable.
Mais si la tolérance est une valeur
morale et que respecter la tolérance implique d’interdire à l’Etat d’imposer ou
d’interdire certaines choses à ses sujets, comment savoir alors ce qu’un Etat a
le devoir moral d’interdire ou de rendre obligatoire ?
Il faut distinguer deux sortes de
morales : la morale universelle, commune à tous les hommes en tant qu’ils
sont des hommes, et la morale particulière, commune aux seuls hommes qui
appartiennent à certaines communautés (cultes, clubs sportifs, syndicats,
etc.). Appartenir à une certaine communauté, c’est adhérer à des croyances et à
des valeurs, mais aussi accepter certaines obligations, certains devoirs.
Chaque communauté a donc sa morale propre.
Mais
comme il existe une plus ou moins grande variété de communautés, leurs morales
sont contraires les unes aux autres. Pour éviter les conflits et se montrer
juste, l’Etat ne doit favoriser ni défavoriser aucune communauté et demeurer
donc neutre dans tous les sujets sur lesquels les communautés ne sont pas
d’accord.
En
revanche, il existe une communauté à laquelle appartiennent tous les
individus : l’espèce humaine. Comme toutes les communautés, l’espèce
humaine impose à ses membres certaines obligations, qui constituent une morale
proprement humaine et donc universelle. Et c’est cette morale universelle que
l’Etat doit faire respecter et qu’il peut faire respecter sans porter
injustement atteinte à la moindre communauté particulière (Locke, le Second traité du gouvernement civil).
2. Le problème de la liberté humaine :
La question centrale est cette
deuxième partie est la suivante : comment la volonté humaine est-elle
déterminée à faire ses choix ? Elle a pour but de présenter la théorie du
libre arbitre et celle du déterminisme. La première soutient que la volonté
humaine se détermine elle-même, tandis que la seconde affirme que la volonté
humaine est déterminée par autre chose qu’elle-même.
2.1. Les présupposés de la morale :
2.1.1.
La morale est donc un ensemble de devoirs qui s’imposent aux hommes. Il
s’ensuit qu’elle est fondamentalement contraignante : elle ordonne aux
hommes de faire ce qu’ils ne veulent pas faire et de ne pas faire ce qu’ils
veulent faire. La morale oppose donc le réel à l’idéal, l’être au devoir-être.
2.1.2.
L’existence des devoirs moraux et de la conscience morale présupposent deux
choses : a) que les hommes ne vivent pas spontanément bien et b) que les
hommes peuvent vivre bien s’ils le veulent. En d’autres termes, la morale
semble présupposer la contingence des choix et des actes humains : pour
chaque action commise, une autre aurait été possible.
La
contingence est le fait que quelque chose existe qui aurait pu ne pas exister,
ou bien que quelque chose n’existe pas qui aurait pu exister. Elle est le
contraire logique de la nécessité, qui est le fait que quelque existe qui ne
pourrait pas ne pas exister. (L’impossibilité est seulement la nécessité de
l’inexistence de quelque chose.)
2.1.3.
Dans De l’interprétation, Aristote soutient que le monde humain échappe
en partie à la nécessité naturelle, qu’il est donc partiellement contingent, en
soulignant qu’il est difficile de croire que le futur de l’humanité soit déjà
déterminé, ce qui est pourtant l’une des conséquences de la croyance au
déterminisme universel.
2.2. L’hypothèse de la liberté humaine :
2.2.1.
Pour expliquer cette contingence de l’existence humaine, Kant soutient dans la Critique
de la raison pratique que les hommes sont libres, c’est-à-dire que leur
volonté est radicalement indépendante du déterminisme à l’œuvre dans la nature.
En effet, s’ils n’étaient pas libres, alors leurs existences seraient aussi
nécessaires que tous les phénomènes naturels, aussi nécessaires que les
comportements animaux.
L’existence
de la conscience morale permet donc de justifier pratiquement la croyance en la
liberté humaine.
2.2.2.
Le déterminisme universel est la position philosophique qui soutient que tous
les phénomènes, y compris les phénomènes humains, sont les effets nécessaires
de certaines causes antécédentes.
Croire
que les hommes sont libres revient à croire que, d’une façon ou d’une autre,
leurs choix échappent à ce déterminisme à l’œuvre dans tous les phénomènes
naturels.
2.3. L’hypothèse du libre arbitre :
2.3.1.
Dans les Méditations métaphysiques, Descartes présente son hypothèse du
libre arbitre et rend possible de comprendre comment les hommes peuvent
échapper au déterminisme universel.
Les
hommes sont composés de deux substances : l’esprit et la matière. Tandis
que leur corps est matériel, leur âme est spirituelle et donc immatérielle.
L’union de ces deux substances s’effectue au niveau du cerveau, par
l’intermédiaire de la glande pinéale. Il faut se souvenir que, selon Descartes,
seule l’âme conçoit, réfléchit, perçoit, veut et sent, et qu’elle fait tout
cela grâce à, dans l’ordre, la raison, à l’imagination (la perception) et à la
volonté.
Lorsqu’un
homme perçoit quelque chose, ses nerfs transmettent au cerveau des informations
matérielles, qui sont ensuite transformées en images (en perceptions) par
l’âme. Au contraire, lorsqu’un homme agit, sa volonté fait un choix, ce choix
est transmis par l’âme au cerveau, qui envoie enfin des informations au reste
du corps.
2.3.2.
L’hypothèse de Descartes est que la volonté, lorsqu’elle choisit, n’est jamais
déterminée à le faire. La volonté peut choisir indifféremment n’importe
laquelle des actions possibles que l’âme se représente. Ni la raison, ni la
passion, ni la perception ne la contraignent à choisir ce qu’elle ne veut pas.
Cette capacité de la volonté à choisir seule entre plusieurs actions possibles
est le libre arbitre.
Il
s’ensuit que toutes les actions humaines sont toujours libres et que lorsque
les hommes « subissent » leurs passions, ils ne font en fait que
céder volontairement à leurs passions. A strictement parler, la raison, la
passion et la perception ne font qu’incliner, plus ou moins fortement, la
volonté à faire tel ou tel choix.
2.3.3.
Pour confirmer son hypothèse, Descartes recourt à l’évidence psychologique :
lorsqu’ils prennent une décision, les hommes ont conscience qu’aucune force ne
les détermine à faire le choix qu’ils font ; or comme la conscience de soi
(le cogito) est une connaissance (intuitive, évidente) de soi, il
s’ensuit qu’ils savent pertinemment qu’ils choisissent toujours librement.
L’existence du libre arbitre est donc évidente.
2.3.4.
Remarque sur la conscience : la conscience peut être définie comme une
perception subjective. Le terme « perception » permet d’insister sur
l’intentionnalité de la conscience : la conscience est toujours conscience
de quelque chose. Ainsi, il faut distinguer la conscience de quelque chose
d’extérieur à l’esprit de la conscience de soi (ou conscience réflexive, ou
introspection), qui est la conscience que l’esprit prend de lui-même.
Le
terme « subjective » permet d’insister sur le fait que la perception
qu’a un sujet soit du monde extérieur, soit de lui-même, est toujours
caractérisée par une différentiation entre le sujet et l’objet de la
perception.
2.3.5.
Selon Descartes, tous les hommes ayant une volonté absolument libre sont donc
tous fondamentalement libres. Mais cela ne signifie toutefois pas que tous les
hommes soient effectivement tous aussi libres les uns que les autres. La
liberté ne consiste pas principalement à choisir arbitrairement parmi toutes
les actions possibles ni à refuser même de choisir. La liberté consiste a) à
atteindre les fins choisies et b) à poursuivre des fins réellement voulues. Or
tous les hommes ne vivent pas de cette manière. Beaucoup d’hommes soit vivent
vainement, sans jamais faire de choix réels, soit connaissent l’échec dans
leurs entreprises, soit vivent une vie dont ils ne veulent pas réellement.
Cette différence entre les hommes s’explique par les usages différents que les
hommes peuvent faire de leur libre arbitre.
La
plupart des hommes vivent dans l’ignorance. Or seule la connaissance permet à
coup sûr a) de bien délibérer et donc de choisir les bons moyens de parvenir à
ses fins, et b) de discerner les fins réellement bonnes des fins illusoires.
Donc seuls les hommes qui vivent vertueusement, c’est-à-dire qui se sont
résolus à vouloir toujours ce que la raison leur représente comme étant
certainement vrai, bon ou utile, sont à la fois libres et heureux.
Il
faut bien comprendre comment les hommes peuvent ne pas poursuivre des fins
réellement voulues. Descartes insiste sur le fait que, par nature, la volonté
humaine veut ce qui est bon. Les hommes sont donc naturellement inclinés à
vouloir le bien et ils veulent ce que leur âme leur représente comme étant bon.
Mais comme leur jugement peut être faussé et qu’ils peuvent ignorer la valeur
réelle de ce qu’ils veulent, ils peuvent vouloir des biens dont ils ne
voudraient pas s’ils étaient mieux informés.
2.3.6.
Mais comment les hommes peuvent-ils ignorer la valeur des biens qu’ils veulent
ou ne veulent pas ? Premièrement, à cause du manque d’étude. Deuxièmement,
à cause des passions. Une passion est une représentation accompagnée par une
émotion qui trouble l’âme. Or, si une passion est une représentation, et plus
précisément une représentation imaginaire (ou perceptive), alors elle renseigne
l’âme sur ce qu’est le monde extérieur et peut ainsi devenir le mobile d’un
choix. Mais comme une passion est une représentation grossière et souvent
excessive des choses, donc une représentation partiellement fausse, elle peut
être mauvaise conseillère et incliner les hommes à commettre des erreurs et des
fautes.
Mais
il n’y a pas nécessairement de contradiction entre la raison et les passions,
car toutes les passions ne sont ni nécessairement fausses ni nécessairement
mauvaises conseillères.
2.3.7.
Il faut donc distinguer deux sortes de vies : la vie raisonnable et la vie
déraisonnable ou passionnelle. La vie raisonnable est celle de l’homme dont la
volonté accepte toujours de suivre les meilleurs jugements de la raison. Elle
est à la fois heureuse et libre.
La
vie déraisonnable est celle de l’homme dont la volonté accepte de suivre les
passions. Cette vie est souvent malheureuse, car la raison n’éclaire pas les
décisions de la volonté et ne peut lui indiquer ce qu’il faut réellement
vouloir, et contrainte, car l’âme non seulement se soumet aux choses
extérieures et à la fortune (au hasard de la vie), mais aussi et surtout se
donne pour fins des biens qui ne sont pas réellement les siens.
Ainsi,
bien que Descartes ne nie nullement que les passions puissent être bonnes, il
insiste sur le fait qu’il faut que les hommes s’efforcent de mener une vie
rationnelle et qu’ils fortifient leur volonté en s’exerçant à suivre les
conseils de la raison, plutôt qu’ils ne cèdent aux désirs et aux passions, se
condamnant ainsi à mener une vie malheureuse et aliénée.
2.3.8.
Descartes a également soutenu que le progrès des sciences permettraient aux
hommes d’élaborer une science morale. Mais en attendant que cette science
n’existe, il faut bien que les hommes vivent. Et c’est pourquoi il a proposé
quatre règles pour une morale provisoire dans le Discours de la méthode :
a) toujours faire les choix les plus modérés et les plus conformistes ; b)
se tenir toujours à ses choix ; c) toujours préférer modifier ses volontés
que l’ordre du monde ; et d) toujours accroître ses connaissances.
2.3.9.
La troisième règle de la morale provisoire est inspirée du stoïcisme. Cette
école philosophique de l’Antiquité soutenait a) que l’univers est un monde
harmonieux dont toutes les parties sont liées entre elles par une force divine,
b) qu’en conséquence tout se passe pour le mieux dans le monde et que même
temps tout y est nécessaire, c) que le malheur des hommes vient de la
dysharmonie entre leurs désirs et l’ordre nécessaire et providentiel du monde
et d) que la vertu, qui est la connaissance, permet d’harmoniser la vie
individuelle à la vie du monde et donc de délivrer l’âme de ses troubles.
Ainsi, pour les stoïciens, le bonheur, c’est-à-dire la paix de l’âme, ne peut
s’obtenir qu’en maîtrisant rationnellement les désirs qui pourraient contrarier
l’ordre du monde (Epictète, le Manuel).
2.4. L’hypothèse du déterminisme :
2.4.1.
Le déterminisme est la position philosophique qui soutient que tout phénomène
est l’effet nécessaire de certaines causes antérieures. Croire au déterminisme
implique donc de ne croire ni au libre arbitre ni à la contingence des
phénomènes naturels (Spinoza, l’Ethique).
2.4.2.
Les déterministes croient donc que tout phénomène est l’effet nécessaire
d’autres phénomènes. Il faut donc qu’ils croient aussi que l’état actuel de
l’univers est l’effet nécessaire de son état antérieur et qu’en conséquence,
l’état ultérieur de l’univers sera l’effet nécessaire de son état actuel. Ils
doivent donc croire que le futur de l’univers est prévisible en droit,
c’est-à-dire que si un esprit connaissait complètement l’état actuel de
l’univers et les rapports causaux entre tous les phénomènes, alors il serait
capable de prévoir l’évolution futur de l’univers. Mais cela ne signifie pas
qu’ils croient que cette prévision soit de fait possible, car ils ignorent pas
que la connaissance humaine de l’univers est beaucoup trop faible pour cela.
Les
partisans du libre arbitre doivent plus ou moins croire que le futur de
l’univers ne peut pas se prévoir, car une partie de ce futur sera déterminée
par les choix humains et que ces choix ne sont pas censés être eux-mêmes
déterminés par des phénomènes antérieurs.
Il
ne faut pas confondre la contingence avec le hasard. Tandis que la contingence
est contraire au déterminisme, le hasard ne l’est pas. Un phénomène est
hasardeux parce qu’il résulte de la rencontre d’au moins deux séries causales
indépendantes. Donc un phénomène hasardeux a bien des causes.
2.4.3.
Dans l’Ethique, Spinoza tente de prouver que l’expérience de la
contingence des choix et des actes humains est une illusion : ce n’est pas
parce que les hommes n’ont pas conscience que certaines causes les déterminent
à faire les choix qu’ils font que ces causes n’existent pas. Il est possible de
savoir après coup que certaines causes ont déterminé un choix qui, lorsqu’il a
été fait, a semblé n’avoir eu aucune autre cause que la volonté elle-même. La
croyance à la contingence est donc le simple résultat de l’ignorance.
2.4.4.
Remarque sur la conscience : contrairement à ce que soutient Descartes, la
conscience de soi n’est pas tout à fait une connaissance de soi :
percevoir certains phénomènes mentaux n’est pas suffisant pour les expliquer,
c’est-à-dire en saisir les causes.
Certaines
théories scientifiques peuvent fournir une confirmation de la critique
spinoziste de la connaissance intuitive de soi. Ainsi, dans la Métapsychologie,
Freud soutient que certains actes humains ne peuvent être expliqués
complètement par les phénomènes conscients. L’existence des lapsus semble par
exemple confirmer l’existence de phénomènes mentaux inconscients. Il semble
donc s’ensuivre que les choix et les actes humains sont en partie déterminés
par des causes inconscientes.
L’inconscient
est une partie de l’esprit humain qui est constitué de tous les désirs refoulés
à cause des interdits sociaux et familiaux et maintenus hors de la conscience
par la censure (psychique).
De
même, dans Les héritiers, Bourdieu met apparemment en évidence que les
choix et les actes humains sont déterminés par des croyances, des valeurs ou
des règles de conduite qui ont été incorporés inconsciemment par les individus
lors de leur socialisation.
2.4.5.
Le déterminisme est également confirmé par le succès des sciences : le but
d’une science est d’expliquer certains phénomènes ; expliquer un phénomène
consiste à identifier ses causes ; or il existe de nombreuses
sciences ; donc le déterminisme s’exerce sur de nombreux phénomènes ;
en généralisant, il est possible de supposer que tous les phénomènes sont
soumis à ce déterminisme.
2.4.6.
Dans l’Enquête sur l’entendement humain, Hume explique que l’existence
de la coopération sociale semble confirmer l’hypothèse du déterminisme. De
fait, toute action présuppose une certaine planification et donc une certaine
prévision des effets des choix. Or la possibilité de la prévision repose sur
l’existence de relations causales nécessaires. Donc la coopération sociale
repose sur l’existence de relations causales nécessaires entre les pensées et
les actions humaines, et le monde.
2.4.7.
Remarque sur la liberté : il faut distinguer la liberté morale,
c’est-à-dire le libre arbitre, de la liberté d’action, c’est-à-dire de la
possibilité d’agir conformément aux décisions prises par la volonté.
Dans
l’Ethique, Spinoza nie que le libre arbitre existe. Les choix humains,
comme tout ce qui existe, sont déterminés par certaines causes. Plus
précisément, la volonté humaine est déterminée à faire ses choix par certaines
croyances : ce qui semble vrai ou bon détermine la volonté à croire ou à
vouloir. Mais il ne nie nullement que les hommes aient la possibilité d’agir
conformément à leur volonté. Il ne nie pas non plus qu’il soit possible de
distinguer parmi les hommes des hommes plus libres que d’autres. Certains
hommes mènent une vie à la fois libre et heureuse, tandis que d’autres mènent
une vie asservie et malheureuse.
La
vie asservie et malheureuse : a) tous les êtres sont mus par une force
intérieure qui les pousse à conserver leur vie et à vivre conformément à leur
nature ; b) cette force se manifeste chez les hommes sous la forme du
désir : le désir est affirmation de soi ; c) tous les hommes tendent
donc naturellement à conserver leur vie et à vivre conformément à leur
nature ; d) mais leur ignorance du monde peut les conduire à accepter des
idées fausses sur ce qui est réellement bon pour eux, c’est-à-dire sur ce qui
leur permettrait réellement de satisfaire leur désir ; e) ces idées
fausses, ou partiellement fausses, naissent en eux sous l’effet des choses
extérieures ; f) comme les croyances déterminent la volonté, les hommes
veulent donc des choses qui ne sont pas réellement bonnes pour eux ou bien ne
savent pas réellement comment se procurer ce qui est bon pour eux ; g)
donc les hommes vivent sous la détermination des choses extérieures, plutôt que
sous la détermination de leur nature ; h) leur vie est donc
hasardeuse ; i) si le hasard leur est favorable, ils éprouvent alors des
sentiments joyeuses, mais s’il ne leur est pas favorable, alors ils éprouvent
des sentiments tristes ; j) dans tous les cas, leur vie affective est le
jouet du hasard et de l’ignorance ; et k) leur vie est donc asservie au
hasard et au monde extérieur, et a de fortes chances d’être malheureuse :
aucune joie n’est durable et peu de tristesses sont évitées.
Les
sentiments joyeux ou tristes que les hommes éprouvent passivement, c’est-à-dire
au gré du hasard, Spinoza les dénomme des passions.
La
vie libre et heureuse : a) si les hommes acquièrent une certaine
connaissance du monde extérieur, alors ils se trouvent capables de corriger les
fausses idées que leur imagination et leur expérience leur transmettent au
sujet du monde ; b) comme les idées déterminent la volonté, la
connaissance permet aux hommes de désirer et de posséder les biens véritables,
et d’éviter les maux ; c) comme la possession des biens véritables cause
de la joie, la connaissance permet aux hommes de se procurer activement et
durablement de la joie ; d) comme l’évitement des maux permet d’éviter la
tristesse, la connaissance délivre les hommes des sentiments tristes ; e)
comme la liberté consiste à vivre selon sa nature, la connaissance permet aux
hommes de se délivrer du hasard et du monde extérieur ; et f) leur vie est
donc à la fois joyeuse et libre.
Les
sentiments joyeux, lorsqu’ils sont conquis par les hommes, ne sont plus
éprouvés passivement et ne sont donc plus des passions.
L’éthique
de Spinoza peut se résumer ainsi : l’ignorance aliène l’homme et le
condamne au malheur, tandis que la connaissance, qui est la vertu, libère
l’homme et lui permet d’accéder à la vie heureuse. La vertu n’est pas
récompensée par le bonheur. Elle est le bonheur.
2.4.8.
La valorisation spinoziste du désir s’oppose à la critique qu’en fait Platon
dans le Gorgias : a) le désir est manque, signe
d’imperfection ; b) le désir est souffrance ; et c) le désir est
insatiable.
2.5. Le problème de la responsabilité :
2.5.1.
Dans La généalogie de la morale, Nietzsche suggère qu’il existe une
contradiction entre l’hypothèse déterministe et la notion de responsabilité.
Être responsable signifie à la fois a) être l’auteur de ses actions et b) en
être comptable. Or, si le déterminisme est vrai, alors tous les choix que les
hommes font sont déterminés par des causes antérieures, et si cela est vrai,
alors ils ne sont pas apparemment plus responsables de leurs actions que ne le
sont les causes de leurs choix.
Pourtant,
la distinction entre les agents responsables et les agents irresponsables
semble intuitivement pertinente. Est-il possible de tenir un individu pour
responsable de ses actions, tout en soutenant que ses choix sont déterminés par
autre chose que lui-même ?
2.5.2.
Dans l’Ethique à Nicomaque, Aristote tente de définir l’action
responsable comme l’action volontaire. Pour établir cela, il met en évidence
que les hommes ne se tiennent pas pour responsable des actions qu’ils ne
commettent pas tout à fait volontairement : a) lorsqu’un homme agit sous la
contrainte d’un autre homme, il n’est pas pleinement responsable de ses
actions ; b) lorsqu’un homme agit sous la contrainte d’une circonstance,
il ne l’est pas non plus ; et c) lorsqu’un homme agit sans connaître les
conséquences de ses actes et que cette ignorance est raisonnable, alors il
n’est pas responsable de ces mêmes conséquences.
2.5.3.
Mais cela ne permet de distinguer entre la volonté d’un homme sain, par
exemple, et celle d’un fou. Si la volonté est la faculté mentale qui initie,
contrôle et achève les actions, alors presque toutes les actions sont
volontaires – même si l’ignorance ou les contraintes extérieures peuvent
amoindrir la responsabilité.
L’hypothèse
du libre arbitre explique facilement la distinction : les agents
responsables sont ceux qui ont une volonté libre, tandis que les agents
irresponsables sont ceux qui n’en ont pas.
2.5.4.
Il est apparemment possible toutefois de concilier la notion de responsabilité
avec le déterminisme. Il suffit de définir l’agent responsable comme étant
celui capable de corriger a posteriori ses règles de conduite. Les
agents irresponsables seraient ceux qui seraient incapables soit d’acquérir les
connaissances nécessaires à la correction de leur conduite, soit d’utiliser ces
connaissances pour la corriger.
Cela revient à
concevoir la responsabilité comme la capacité à être éduquée et donc comme la
rationalité. Le but de la justice pénale est ainsi de participer à l’éducation
des individus.
2.5.5.
Le concept de personne sert à désigner les êtres doués de raison et de volonté,
et donc les agents responsables.
3. Les hypothèses sur la nature du bien :
La question centrale de cette
troisième partie est la suivante : Que devons-nous vouloir ? Elle a
pour but de présenter la théorie de l’hédonisme, celle de la déontologie et
celle de l’eudémonisme. Chacune de ces théories tente d’identifier ce qui doit
moralement être le but de la volonté humaine : le plaisir, la loi morale
ou le bonheur vertueux.
3.1. Le scepticisme moral :
3.1.1.
Certains philosophes soutiennent que la morale est une fiction ou une invention
humaines. Ils doutent de l’existence d’une quelconque réalité morale. Ce sont
des sceptiques moraux.
3.1.2.
Dans le Gorgias, Platon met en scène un personnage nommé Calliclès qui
soutient que la morale n’est qu’une fable et que la seule « morale »
réelle est celle de la loi de la jungle : les individus supérieurs, en
force, en ruse, en intelligence, doivent dominer les individus inférieurs. La
morale n’est au fond qu’une ruse utilisée par les faibles pour dompter les
forts.
Le
défaut principal de cette thèse est que les notions de force et de faible sont
des notions relatives et qu’elles s’appliquent à des situations très
changeantes. Le fait est que, selon Calliclès lui-même, les faibles ont fini
par dominer les forts grâce à leur ruse.
3.1.3.
Dans le Crépuscule des idoles, Nietzsche affirme que la morale est le
symptôme de la faiblesse, le symptôme d’une vie pauvre et ratée : a) la
morale permet à certains individus de se tyranniser eux-mêmes et de résister ainsi
à la violence de leurs passions et de leurs désirs ; b) la morale permet à
certains autres individus de justifier leur impuissance, en la faisant passer
pour un choix délibéré et un sacrifice consenti ; et c) la morale permet
aux faibles de se consoler de leur impuissance dans l’imaginaire : les
hommes qui nourrissent dans leur cœur l’envie, le ressentiment, la haine et le
désir de vengeance se satisfont en calomniant les hommes forts et rêvant d’un
monde meilleur, c’est-à-dire un monde dans lequel ils pourraient satisfaire
leurs désirs et leurs passions, et non pas les sentir étouffer sous le poids de
l’impuissance.
3.1.4.
Dans La république, Platon met en scène un personnage nommé Glaucon, qui
soutient que la morale n’est rien d’autre qu’un moyen de faire coexister des
individus égoïstes (anneau de Gygès). Les devoirs moraux et la moralité ne
reposent sur rien d’autre que la recherche rationnelle de l’intérêt égoïste.
Cette position philosophique est l’égoïsme rationnel.
Un
intérêt désigne quelque chose d’utile et un intérêt égoïste désigne quelque
chose d’utile pour l’agent lui-même. Un individu est donc égoïste s’il n’agit
qu’en raison de son intérêt propre, tandis qu’il est altruiste s’il agit en
raison de l’intérêt d’autrui.
3.2. L’origine de la morale :
3.2.1.
Le sentimentalisme est la position philosophique qui soutient que l’origine de
la morale est sentimentale (ou passionnelle) : les hommes sont moraux
parce qu’ils éprouvent des sentiments qui les poussent à l’être.
3.2.2.
Dans le Second discours, Rousseau affirme que tous les hommes éprouvent
naturellement deux sentiments : l’amour de soi, qui les pousse à conserver
leur vie, et la pitié, qui leur fait éprouver les peins d’autrui et qui leur
permet de pondérer l’amour de soi.
3.2.3.
Dans l’Enquête sur les principes de la morale, Hume affirme que tous les
hommes sont doués de bienveillance. Cela signifie que tous les hommes prennent
naturellement plaisir à voir leurs prochains heureux et qu’ils sont prêts à
agir seulement pour les rendre tels : les membres d’une même famille comme
les amis sont prêts à sacrifier certains de leurs intérêts égoïstes pour
favoriser ceux de leurs parents ou de leurs amis, même s’ils ne peuvent
raisonnablement pas compter sur un retour quelconque.
3.2.4.
Cela étant, Hume ne réduit pas la morale au sentiment de bienveillance, qui
n’en est que l’origine. La moralité d’un individu peut être éduquée, cultivée
comme sa perception ou son sens artistique. Cette délicatesse du goût moral
s’acquiert par l’expérience, la pratique et l’usage de la raison, qui compare
les situations entre elles et distingue progressivement les ressemblances et
les dissemblances entre elles.
3.2.5.
Mais il est possible de critiquer le sentimentalisme sur plusieurs points. Dans
les Fondements de la métaphysique des mœurs, Kant souligne a) que
les sentiments sont variables dans le temps, alors que les devoirs moraux sont
constants, b) que les sentiments ne permettent pas d’expliquer certains devoirs
et c) que les sentiments varient d’une personne à une autre, tandis que les
devoirs moraux sont universels. Kant soutient pour sa part que l’origine de la
morale est la raison.
3.3. Les trois grandes morales :
3.3.1. La morale hédoniste :
3.3.1.1.
Il existe deux grandes morales hédonistes : a) l’épicurisme, qui est un
hédonisme égoïste (Epicure, Lettre à Ménécée), et b) l’utilitarisme, qui
est un hédonisme altruiste (Mill, L’utilitarisme).
3.3.1.2.
La morale hédoniste identifie le bien au plaisir : tout ce qui maximise le
plaisir ou minimise la peine est bon. Le plaisir est soit une sensation
agréable (charnelle ou spirituelle), soit la disparition d’une sensation
désagréable, c’est-à-dire d’une peine.
3.3.1.3.
S’il est vrai que tout plaisir est bon, alors il est aussi vrai que ce qu’il y
a de meilleur est d’éprouver le plus possible de plaisir et le moins possible
de peine. La morale exige donc que les hommes essaient d’agir de telle façon
qu’il résulte de leurs actions le plus possible de plaisir (et non pas
simplement du plaisir) et le moins possible de peine (et non aucune peine du
tout). La moralité d’un choix ou d’un acte dépend donc de ses conséquences.
3.3.1.4.
Si cela est vrai, alors la vertu cardinale de la morale hédoniste est la
prudence, c’est-à-dire la perfection de la raison pratique, de la faculté mentale
qui délibère.
3.3.1.5.
Pour justifier l’identification du plaisir et du bien, il est possible de
souligner a) que le plaisir est quelque chose qui est naturellement désiré, b)
que le plaisir est parfois désiré pour lui-même et qu’il est satisfaisant, et
c) qu’apparemment tous nos choix et tous nos actes sont orientés par la peine
et le plaisir (dressage, délibération).
3.3.2. La critique de la morale hédoniste :
3.3.2.1.
Le plaisir n’est pas nécessairement un bien : a) Sénèque, De la vie
heureuse : le plaisir est éphémère et sa quête est inlassable et
asservissante ; et b) il existe de mauvais plaisirs.
3.3.2.2.
Le plaisir n’est ni la fin de tous les choix ni le critère de la valeur
morale : a) le souci utilitariste du bonheur pour le plus grand nombre
peut être moralement dangereux ou critiquable, et techniquement
inapplicable (mesure et comparaison des plaisirs individuels, prévision des
conséquences) ; et b) de nombreuses actions humaines ne visent pas le
plaisir, mais, par exemple, la réalisation d’idéaux politiques ou
l’accomplissement de devoirs moraux, distincts du voire contraires au plaisir
(les devoirs moraux ne visent pas le plaisir).
3.3.2.3.
Dans les Fondements, Kant définit le bonheur comme la satisfaction
extensive, intensive et protensive des désirs et donc comme une somme de
plaisirs. Mais il fait remarquer que la raison est incapable de connaître le
moyen de parvenir à cette satisfaction. Le bonheur est donc un idéal de
l’imagination, un idéal inaccessible. Il s’ensuit que le bonheur ne peut être
le bien, c’est-à-dire le critère moral des choix et des actes humains.
3.3.3. La morale déontologique :
3.3.3.1.
Dans les Fondements, Kant affirme que tous les hommes ont une expérience
intime et évidente de leurs devoirs moraux. Le point de départ de Kant est donc
la conscience morale elle-même. Or cette conscience morale semble contredire
les deux thèses principales de la morale hédoniste : a) l’identification
du bien avec le plaisir et b) l’évaluation morale des choix et des actes en raison
de leurs conséquences.
3.3.3.2.
Si la morale hédoniste était vraie, alors les devoirs moraux seraient à la fois
plaisants et intéressés. En d’autres termes, les hommes moraux agiraient avec
plaisir et en vue du plaisir. Or ces deux points sont faux. Premièrement, les
devoirs moraux ne sont pas tous plaisants : dans certains cas, le souci du
plaisir exige un acte immoral et non pas un acte moral. Deuxièmement, les
devoirs moraux ne s’imposent pas aux hommes sous la forme de moyens
techniques : faire son devoir, ce n’est pas aspirer à autre chose que
faire son devoir. La morale commande.
Ce
caractère désintéressé et parfois déplaisant de la morale, Kant le thématise au
moyen de l’opposition entre l’impératif catégorique et l’impératif
hypothétique. L’impératif catégorique est celui qui caractérise les devoirs
moraux. Le terme « catégorique » permet d’insister sur le fait que
les hommes vertueux doivent remplir les devoirs moraux sans autre but que de
les remplir. C’est en ce sens que la morale est désintéressée : ses
commandements ne visent pas à obtenir quoi que ce soit ; en ce sens, ils
sont « sans intérêt ».
L’impératif
hypothétique caractérise au contraire les conclusions d’une délibération,
c’est-à-dire d’un raisonnement qui vise à identifier les moyens efficaces pour
parvenir à une certaine fin. Lorsque les hommes veulent obtenir quelque chose,
lorsqu’ils agissent de façon intéressée, alors ils doivent logiquement vouloir
aussi les moyens leur permettant de satisfaire leur intérêt. Le terme
« hypothétique » permet d’insister sur le fait que certains actes
n’ont de valeur que sous l’hypothèse qu’ils semblent permettre de parvenir à un
certain but.
Les
actions commandées par un impératif catégorique, c’est-à-dire les actions
morales, sont à la fois désintéressées (sans but autre qu’elles-mêmes) et d’une
valeur absolue. Au contraire, les actions commandées par un impératif
hypothétique, c’est-à-dire les actions-moyens, sont à la fois intéressées
(elles visent autre chose qu’elles-mêmes) et d’une valeur relative. Il est
manifeste que l’impératif catégorique définit ce qui est bon, tandis que
l’impératif hypothétique définit ce qui est utile.
Il
est à noter que la fin qui oriente la délibération peut tout à fait être
morale. Les impératifs hypothétiques peuvent permettre de définir les actions à
mener pour pouvoir accomplir une action fixée, elle, par un impératif
catégorique.
3.3.3.3.
S’il est vrai que les devoirs moraux sont désintéressés, c’est-à-dire sans
autre but qu’eux-mêmes, alors il est faux de soutenir que l’évaluation morale
des actions humaines doit se faire en raison de leurs conséquences – et par
extension que la vertu cardinale est la prudence. Kant rejette donc le
conséquentialisme de la morale hédoniste. Une action vertueuse est plus
simplement celle dont l’intention est respectueuse du bien, celle qui est
exécutée par pur respect pour un devoir moral. Un homme n’est pas vertueux en
raison des conséquences de ses choix, mais il l’est en raison de ses choix
eux-mêmes, de ses intentions : a) une action qui échoue mais dont
l’intention était bonne est bonne malgré son échec ; b) une action
dont l’intention est amorale mais qui soit cause du plaisir, soit est conforme
(extérieurement) à un devoir moral n’est pas bonne ; et c) une action dont l’intention
était mauvaise mais qui cause du plaisir ou qui est conforme à un devoir moral
n’est pas bonne non plus.
Il
est possible d’ajouter que si la prudence était la clef de la morale, alors
seuls les hommes suffisamment intelligents pour être effectivement prudents pourraient
être moraux. Ce qui n’est pas le cas. La moralité d’une personne n’est pas
relative à son intelligence.
3.3.3.4.
La morale déontologique soutient donc a) que le bien est la loi morale, qui
fixe les devoirs moraux, et b) que la vertu est la bonne volonté, c’est-à-dire
la volonté dont les intentions sont respectueuses de la loi morale. Mais quelle
est cette loi morale ?
3.3.3.5.
Les devoirs moraux sont universels. Cela signifie que toutes les personnes,
c’est-à-dire les êtres rationnels, sont censés les connaître et les remplir. Le
terme de « loi » sert précisément à désigner un commandement
universel.
Mais
du coup la loi morale est tout simplement ce que toutes les personnes peuvent
et doivent faire. Est donc moral ce qui peut être fait par tous sans que cela
soit contradictoire. La loi morale exige donc tout simplement que les choix et
les actes qui en découlent puissent être universalisés. La moralité est une
exigence d’universalité : « Agis seulement d’après la maxime grâce à
laquelle tu peux vouloir en même temps qu’elle devienne une loi
universelle. »
3.3.3.6.
Remarque sur la personne et la dignité : Kant soutient donc que les hommes
ont une conscience morale qui leur révèle leurs devoirs moraux. Il ajoute que
cette expérience de la loi morale s’accompagne chez les hommes d’un sentiment
de respect qui est le respect dû au bien, à ce qui a une valeur absolue.
Ce
respect s’étend de la loi elle-même à ceux qui sont capables de lui obéir et ce
respect porté aux personnes leur confère une valeur absolue qui est la dignité.
La conscience morale exige donc un respect inconditionnel (absolu) pour la
dignité des personnes.
Cette
valeur absolue des personnes, cette dignité, est le principe qui permet de
distinguer les personnes des choses. Tandis que ces dernières ont un prix,
qu’elles sont échangeables et manipulables, les premières n’ont pas de prix ou
bien un prix infini, et elles ne peuvent donc être traitées comme de simples
moyens, de simples choses : « Agis de telle sorte que tu traites l’humanité
aussi bien dans ta personne que dans la personne de tout autre toujours en même
temps comme une fin et jamais simplement comme un moyen. »
Il
est à noter que chaque homme se doit à lui-même ce respect et qu’il existe donc
des devoirs envers soi-même. Il est à noter aussi que la morale déontologique
se situe très loin de toute morale de l’égoïsme rationnel : la morale est
tout à fait désintéressée.
3.3.3.7.
Remarque sur la liberté : dans la mesure où les hommes doivent obéir à la
loi morale, il est possible de croire que la moralité s’oppose à la liberté. De
fait, les devoirs moraux interdisent parfois aux hommes de faire ce qu’ils
désirent ou les contraignent au contraire à faire ce qu’ils ne désirent pas. Il
y a donc une contradiction possible entre la moralité et le désir.
Mais
cette contradiction ne devient une contradiction entre la moralité et la
liberté qu’à la condition que la liberté soit de vivre selon ses désirs. (Ce
qui a déjà été critiqué par Descartes.) Or Kant fait remarquer que les hommes
sont d’abord des êtres rationnels et non des êtres sensibles ou désirants. (Il
s’oppose en l’occurrence à Spinoza.) Donc il est plus conforme à la nature
humaine de vivre selon sa raison et donc selon la loi morale que de vivre selon
ses désirs et sa sensibilité. Obéir à la loi morale revient donc à obéir à
soi-même et être dans un état d’autonomie, tandis qu’obéir à ses désirs revient
à obéir à quelque chose d’autre que soi-même et être dans un état
d’hétéronomie. Les hommes ne sont pas contraints lorsqu’ils vivent moralement,
mais ils le sont lorsqu’ils vivent selon leurs désirs (ou passions, ou
penchants, ou sentiments, etc.).
Il
faut distinguer la contrainte de l’obligation. Une contrainte désigne tout ce
qui s’oppose à la raison, à la volonté (réfléchie et raisonnable) et donc à la
liberté. Une obligation, au contraire, désigne tout ce qui s’oppose aux désirs
et aux passions par fidélité à la raison et à la volonté. (Bien que cette
distinction ne soit pas faite explicitement par Descartes, elle se retrouve dans
sa critique de la vie passionnée.)
3.3.3.8.
Remarque sur les postulats de la morale : s’il faut croire que les hommes
sont capables de vivre moralement, alors il faut accepter certains présupposés
que Kant, dans la Critique de la raison pratique, dénomme des postulats.
Ces postulats sont des hypothèses pratiques et non théoriques : elles ne
permettent pas de connaître le monde, même hypothétiquement, mais elles
permettent d’agir.
Le
premier de ces postulats est celui de la liberté : s’il faut devenir vertueux,
alors il faut pouvoir choisir de devenir vertueux et donc être libre.
Le
deuxième postulat de la morale est celui de l’existence de Dieu. La conscience
morale exige d’agir de manière désintéressée. Par ailleurs, les hommes, en tant
qu’ils sont des êtres sensibles, éprouvent naturellement et universellement le
désir d’être heureux. Mais, contrairement à ce que soutiennent par exemple les
hédonistes, il n’existe aucune relation causale entre la vertu et le bonheur.
Faut-il admettre que le monde laisse cette contradiction irrésolue ? Que
les hommes ne puissent espérer posséder le souverain bien, c’est-à-dire à la
fois la vertu, qui rend digne du bonheur, mais qui ne veut pas le bonheur, et
le bonheur ?
Le
postulat de l’existence de Dieu est la solution à cette contradiction : le
Créateur du monde a séparé la vertu du bonheur afin que les hommes puissent
devenir réellement vertueux, c’est-à-dire remplir leurs devoirs de manière
désintéressée, mais les a réunis ailleurs que dans la vie.
Le
troisième postulat de la morale est celui de l’immortalité de l’âme et il
découle du deuxième. Si les hommes doivent un jour être à la fois vertueux et
heureux, et qu’ils ne peuvent l’être durant leur vie terrestre, alors ils
doivent bien être immortels pour pouvoir l’être durant leur vie céleste. (Il
faut préciser que les termes religieux employés sont en fait des métaphores,
des symboles d’une réalité à la fois incertaine et inconnue.)
3.3.4. La critique de la morale déontologique :
3.3.4.1.
La morale déontologique est très spéculative : a) elle repose sur les
« évidences » de la conscience morale ; et b) elle implique
d’admettre purement et simplement certaines croyances pratiques très
problématiques.
3.3.4.2.
La morale déontologique est vide (Hegel, les Principes de la philosophie du
droit) : la vertu consiste peut-être bien à remplir ses devoirs par
respect par la loi, mais cela n’indique nullement ce qu’il faut effectivement
faire. La morale déontologique est purement formelle. Elle est donc
insuffisante. Que sont les devoirs moraux dans le domaine politique ? Dans
le domaine familial ?
3.3.4.3.
La morale déontologique est contre-intuitive : s’il est indubitable que la
bonne volonté soit nécessaire à la moralité d’un choix ou d’un acte, il ne
s’ensuit pas pour autant qu’il ne faille tenir aucun compte des conséquences de
ce choix. Une intention vertueuse peut avoir des conséquences funestes
parfaitement prévisibles.
3.3.5. La morale eudémoniste :
3.3.5.1.
Contrairement au caractère très abstrait et très spéculatif de la morale
déontologique, la morale eudémoniste essaie d’enraciner la morale dans le monde
naturel et humain. La moralité n’est plus l’obéissance à une loi morale
surnaturelle, mais l’accomplissement individuel et collectif d’une certaine
tendance naturelle.
3.3.5.2.
Dans l’Ethique à Nicomaque, Aristote affirme a) que l’action humaine est
toujours orientée vers une certaine fin, b) que les fins que les hommes
désirent sont normalement fixées par leur commune nature et c) que certaines
fins sont désirées pour elles-mêmes, tandis que d’autres le sont comme moyens
pour parvenir à d’autres fins.
3.3.5.3.
A partir de cela, Aristote fait l’hypothèse qu’il doit exister une fin
souveraine, qui soit désirée pour elle-même et dont l’atteinte offrirait aux
hommes une satisfaction complète. Cette fin souveraine serait donc aussi la fin
ultime de toutes les autres fins : toutes les fins ne seraient désirées
par les hommes que dans la mesure où elles permettraient d’atteindre cette fin
ultime, ou bien dans la mesure où elles en seraient constitutives. (Les fins
sont liés aux biens : un bien est ce dont la possession est une fin.)
3.3.5.4.
Quel est ce bien souverain ? Quelle est la fin ultime que la nature fait
désirer à tous les hommes ? Ce ne sont pas les richesses, car les richesses
ne sont que des moyens de parvenir à d’autres biens. Ce ne sont pas non plus
les honneurs, car les honneurs sont des biens qui ne dépendent pas seulement de
ceux qui les possèdent. Ce ne sont pas enfin les plaisirs, car ils ne sont ni
toujours bons, ni tous estimables.
Cette
fin ultime que la nature fixe au désir humain est tout simplement de vivre
comme un être humain authentique. Aristote soutient donc que ce que les hommes
désirent tous naturellement est de mener une vie pleinement, parfaitement
humaine. Il s’ensuit que le souverain bien est de vivre vertueusement.
3.3.5.5.
Pour les Anciens, la vertu désigne strictement l’excellence ou la perfection.
Donc un homme vertueux est un homme dont la vie est celle d’un homme accompli,
parfaitement épanoui. Le terme « eudémoniste » désigne cet état de
parfait épanouissement, qui n’est pas tout à fait bien rendu par la traduction
française du terme, qui est « bonheur ».
3.3.5.6.
Cela dit, Aristote précise sa doctrine. Le souverain bien est une vie vertueuse.
Mais une vie ne peut être vertueuse que si chacune de ses parties est elle-même
vertueuse. Le but de l’éducation morale est donc de rendre vertueuse chaque
partie des individus.
Aristote
distingue deux sortes de vertus : a) les vertus éthiques et b) les vertus
intellectuelles. Les premières vertus concernent les désirs. S’il est vrai que
les hommes désirent être heureux, c’est-à-dire vertueux, il est tout aussi vrai
que, parfois, les désirs secondaires se pervertissent et visent des fins qui
éloignent les hommes du bonheur. Ces désirs pervers sont les vices. Il est donc
nécessaire que l’éducation morale des hommes les habitue à avoir des désirs
droits, c’est-à-dire cultive en eux les vertus éthiques.
3.3.5.7.
Pour chaque désir vertueux, il existe deux désirs vicieux : un désir
excessif et un désir défaillant. Un désir vertueux est donc un juste milieu
entre un excès et un défaut. Cette possibilité d’une perversion des désirs
explique l’aspect contraignant des devoirs moraux, c’est-à-dire des règles éducatives
servant à habituer les désirs à poursuivre de bonnes fins : cette
contrainte naît de l’écart entre un désir réel et le désir vertueux.
3.3.5.8.
Les vertus éthiques fixent donc les fins que les hommes doivent naturellement
désirer. Les vertus intellectuelles, pour leur part, sont des perfections de la
raison humaine.
Cela
étant, il existe une relation importante entre les vertus éthiques et la vertu
intellectuelle de prudence. La prudence est la vertu de la raison pratique,
c’est-à-dire de l’intellect qui délibère. Or comment s’accomplir sans savoir
comment parvenir aux fins que les désirs vertueux fixent ? Pour mener une
vie heureuse, il faut donc éprouver des désirs vertueux et être suffisamment
prudent pour satisfaire ces désirs.
3.3.5.9.
La vertu est donc une disposition, acquise par l’expérience et l’habitude,
c’est-à-dire la répétition de l’expérience, à choisir un bien selon le juste
milieu.
3.3.5.10.
La prudence est un savoir, car elle établit la façon correcte d’accomplir une
action et ainsi d’obtenir un certain bien. Mais elle n’est pas une science,
bien que cette dernière soit une vertu intellectuelle. En effet, une science,
selon Aristote, porte sur ce qui est nécessaire et universel. Au contraire, la
prudence porte sur ce qui est contingent et particulier, car elle guide
l’action humaine et qu’une action humaine est contingente et n’a de sens qu’au
sein d’une situation particulière.
La
prudence n’est pas non plus un savoir technique, bien que ce dernier soit aussi
une vertu intellectuelle. Tout d’abord, le but du savoir technique est la
production d’un bien, alors que le but de la prudence est de rendre un homme
vertueux. La fin de la technique ou de l’action productrice n’est pas le
technicien lui-même, tandis que la fin de la prudence ou de l’action pratique
est l’agent lui-même. Par ailleurs, le savoir technique est aussi universel que
celui du savoir scientifique.
3.3.5.11.
La morale eudémoniste affirme donc a) que le bien est le bonheur, b) que le
bonheur est la vie vertueuse, c) que la vertu est l’accomplissement ou
l’épanouissement de la nature humaine et d) que la vertu s’acquiert par
l’exercice, l’expérience et l’habitude.
Cela signifie que
la morale doit reposer sur l’anthropologie : pour que les hommes sachent
comment vivre, il faut encore qu’ils sachent ce qu’ils sont. Les caractères
humains les plus fréquemment cités sont la rationalité et la sociabilité. La
vie vertueuse est donc une vie rationnelle et sociable (ou politique).
Il
est même possible de réduire la vie vertueuse à la vie rationnelle pour deux
raisons : a) la vie vertueuse présuppose la prudence, qui est une vertu de
la raison, et b) la raison est ce qui distingue métaphysiquement les hommes des
animaux, des végétaux et des êtres inertes.
3.3.5.12.
En insistant sur l’importance de la raison, Aristote est tombé dans une
difficulté : si la vie humaine est essentiellement une vie rationnelle,
alors pourquoi privilégier la prudence ? Pourquoi ne pas faire de la pure
connaissance la vertu ? Cette difficulté tient en une opposition
apparemment irréductible entre la vie contemplative des savants et la vie
active des hommes vivant en société.
3.3.5.13.
Remarque sur le plaisir : la morale eudémoniste refuse d’identifier le
bien et le plaisir. Mais elle ne refuse pas le plaisir et elle affirme même que
le bien est plaisant (même si tout ce qui est plaisant n’est pas un bien).
Aristote soutient
que les hommes éprouvent du plaisir lorsqu’ils parviennent à satisfaire leurs
désirs. Or comme les vertus éthiques sont des désirs, la vie vertueuse est une
vie plaisante. Le plaisir couronne donc les actions vertueuses.
3.3.6. La critique de la morale eudémoniste :
3.3.6.1.
La morale eudémoniste repose sur le concept de nature humaine. Mais il y a deux
problèmes liés à ce concept : a) la nature humaine semble contenir des
désirs qui ne sont pas du tout moraux (Mill, L’utilitarisme) ; et
b) il n’est pas certain qu’il existe quelque chose comme une nature humaine,
car la diversité des cultures signifie la diversité des aptitudes et des désirs
humains et donc l’inexistence d’aptitudes et de désirs universels (Montaigne,
les Essais).
3.3.6.2.
La morale eudémoniste fait confiance à la nature humaine et valorise les désirs
naturels. Mais la morale peut exiger des conduites que la nature ne désire pas
et la perfection de certaines aptitudes n’est pas en soi une bonne chose (Kant,
les Fondements).
3.3.7. Tableau récapitulatif :
Philosophie
morale
|
Nature
du bien
|
Nature
des devoirs
|
Morale
hédoniste
|
Plaisir
|
Conséquences
plaisantes
|
Morale
déontologique
|
Loi
morale
|
Intentions
conformes à la loi
|
Morale
eudémoniste
|
Bonheur
|
Vertus
éthiques et rationnelles
|
3.4. L’origine du mal :
3.4.1.
Selon la morale hédoniste : les hédonistes font de la prudence la vertu
cardinale de la morale. Donc le mal peut s’expliquer par un défaut de prudence,
c’est-à-dire par l’ignorance (acrasie).
3.4.2.
Selon la morale déontologique : la volonté des personnes doit se soumettre
à la loi morale qui est contenue dans la raison. Mais la plupart des hommes
soumettent leur volonté à leur sensibilité, c’est-à-dire à leurs intérêts, à
leurs sentiments, à leurs désirs et à leurs passions. C’est ce que Kant dénomme
le mal radical.
3.4.3.
Selon la morale eudémoniste : Aristote identifie trois causes possibles du
mal : a) la méchanceté naturelle et les passions violentes ;
b) la mauvaise éducation morale ; et c) le conflit des désirs (acrasie).
Appendice :
1. Ce cours aborde principalement
les notions du programme suivantes : la conscience, l’inconscient, le
désir, la liberté, le devoir et le bonheur.
2. Outre les thèses, les arguments,
les auteurs et les ouvrages cités dans le cours, il faut connaître les concepts
suivants : conscience, conscience de soi, conscience morale et
inconscient ; contingence et nécessité ; bien, mal, utile, valeur absolue
et valeur relative ; liberté, libre arbitre, déterminisme, autonomie et
hétéronomie ; bonheur, plaisir, peine, vertu et nature humaine ;
devoir, obligation, contrainte, loi morale, impératif catégorique et impératif
hypothétique (fin et moyen) ; intention et conséquence ; universel et
particulier ; désir, passion et volonté ; idéal et réel ; espèce
et individu ; personne, raison et dignité.