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L’analyse du problème du recrutement du public

L’analyse du problème du recrutement du public


Après trois mois, face à la difficulté majeure pour résoudre le problème du recrutement des participants, il nous a paru aberrant de poursuivre le projet en l’état et impératif de s’interroger sur le modèle de l’action de manière à faire évoluer le concept pour adapter les outils aux publics cibles. En effet, le nombre de participants (supra) à plusieurs animations successives a été infime. L’absurde a même été atteint le mardi 30 mars avec la présence de seulement deux hommes pour parler de la contraception ! Pourtant, précédemment, lorsque les personnes ont fait l’effort de se déplacer, elles ont trouvé la journée intéressante et, bien souvent, un climat de confiance a favorisé les échanges plus personnels lors des moments informels. La question se situe donc en amont, tout d’abord au niveau de l’information du public-cible et ensuite au niveau des modalités de sa mise en mouvement et du mode de recrutement des personnes qui ne peut se faire sans considération de leurs besoins et attentes. La démarche récapitulative et critique que nous présentons ici se veut avant tout constructive.

Il est exclu d’attendre une hausse du taux de participation grâce à un éventuel phénomène de bouche à oreille, ce qui supposerait qu’il y ait du monde et que le message circule. Il est nécessaire de constater également que les assistants sociaux de l’aide générale ne sont jusqu’ici d’aucun recours pour aider à mobiliser les personnes, ni même le personnel du SIP qui, néanmoins, envoie ponctuellement un ou deux personnes. Au passage, il est triste d’assister à des conflits de pouvoir et de jalousie entre services d’une même structure, le CPAS, et dont les personnes en précarité sont les otages et, au final, les plus grands perdants.

Or, d’une part, préparer une animation exige un travail de préparation et d’organisation incompressible, coûteux en temps et donc en finances. Jusqu’ici le retour sur investissement est plus que négatif. D’autre part, si l’on continue, dans l’optique d’un travail en réseau, à solliciter des personnes extérieures, détentrices d’une information spécialisée, pour si peu de personnes, on risque de les démotiver et de ne plus obtenir leur collaboration dans le futur, avec pour conséquences, de cloisonner encore un peu plus les intervenants sociaux de tous ordres alors qu’il est primordial d’offrir une aide globale prenant en compte tous les aspects des difficultés psychosociales et d’inscrire la démarche dans le long terme.

Il n’y a pas lieu de remettre en question la philosophie sous-jacente au projet, à savoir l’éducation dans les domaines de la santé, de la parentalité et de l’interculturalité. De fait, au sein de la population bénéficiaire de l’aide sociale – environ 2.500 personnes sur la région de Mons-Borrinage –, des problèmes précis ont été clairement identifiés. Ils concernent principalement l’hygiène de vie avec des lacunes graves au niveau des règles sanitaires, avec des conduites d’addiction que ce soit à l’alcool ou à la drogue, des comportements alimentaires carentiels, etc. L’éducation des enfants est chaotique. Ceux-ci sont parfois livrés à eux-mêmes sans considération pour leur âge, comme par exemple un petit de 2 ans et demi laissé seul une nuit entière tandis que sa mère était en coma éthylique à l’hôpital, etc. Le marché du travail plus que restreint et la promiscuité entre les différentes communautés culturelles dans les quartiers défavorisés obligent à œuvrer en vue de l’ouverture des modes de pensées afin d’éviter les effets pervers des clichés et des propagandes politiques de l’extrême droite qui attisent les récriminations. Face à l’ampleur des besoins et surtout à leurs conséquences en cascade – la situation empire d’année en année -, il est urgent d’agir et de revoir le concept afin de ne plus gaspiller les énergies et les compétences.

Les animations à visée éducative se sont inscrites dans le cadre plus vaste de l’insertion sociale. C’est sans doute une des raisons pour lesquelles l’option du respect de la liberté individuelle a été retenue. Toutefois, étant donné que la paupérisation est principalement structurelle dans cette zone géographique, touchant les générations les unes après les autres, il est peut-être utopique d’espérer une participation volontaire des personnes. En effet, il est manifeste que tout un pan de celles-ci estiment que l’aide sociale est un dû qu’il est légitime de recevoir sans aucune contrepartie. Les chiffres médiatiques du chômage et la situation économique « sinistrée » de la région servent l’argumentaire pour justifier un marasme individuel et familial, voire communautaire. Le sentiment d’impuissance est tel qu’il conduit à se résigner à une condition vécue comme inéluctable. La gêne et encore moins la honte de demander l’assistance publique sont absentes chez beaucoup. Nulle culpabilité donc de faire appel à la solidarité nationale et européenne, sans avoir tout tenté pour s’en sortir, ce qui aurait pu servir de charnière pour se positionner autrement, en tant qu’acteur de sa vie qui se donne les moyens de la réussir et non plus en qualité de victime d’un système injuste.

Jusqu’ici la participation des personnes-cibles aux animations était laissée au libre arbitre de chacun. Or, que ce soit par l’analyse du problème ou par les résultats empiriques, l’issue de la démonstration révèle que cela mène à une impasse. En effet, on a pu vérifier que la motivation des bénéficiaires n’est pas intrinsèque et que le manque de participation des personnes est l’obstacle majeur qu’il faut réussir à dépasser. Le SIP a invité par deux fois plus d’une soixantaine de personnes pour une séance d’information sur les activités proposées. Seulement quelques personnes se sont présentées au service.

Ce constat oblige à revoir les bases du modèle, à moins restreindre les choix méthodologiques et élargir le raisonnement dans la perspective du développement durable. Ce terme à la mode n’est pas inutile et s’applique aussi au domaine de l’épanouissement de l’humain. N’est-ce pas cet horizon qui nous habite lorsque nous élevons nos enfants ? lorsque nous les obligeons à faire leurs devoirs, à se soucier de leur travail scolaire, à être respectueux d’autrui ? Veiller à leur avenir implique de parfois les contraindre au risque d’avoir à affronter leur colère. Il y a donc bien une différence entre le laxisme et l’autorité bienveillante, avec à un extrême les attitudes démissionnaires et à l’autre les trop rigides. Les relations d’amitié vraie prouvent que ceci est valable aussi pour les adultes et que donc transposer cette logique au point qui nous préoccupe est peut-être pertinent mais implique de mettre en cause nos conceptions de l’éthique.

D’un point de vue purement stratégique, cette position n’est pas facile. En effet, il est probable qu’obliger risque de susciter une vive opposition chez certains, avec pour conséquences une détérioration de l’ambiance, une dégradation des rapports et in fine l’impossibilité d’établir une relation de confiance et l’échec didactique. Les tactiques coercitives ne sont pas l’idéal pour obtenir la coopération des personnes et surtout un remaniement de leur perception du monde. Néanmoins, face au noyau dur caractérisé par l’immobilisme, il n’y a pas d’autre option. Dominique Baré, responsable du CRIC (Centre de Ressources Individuelles et Collectives) du CPAS de Soignies, défend ce point de vue : “Il faut savoir poser le cadre. (…) En fonction de la manière dont on l’utilise, ce cadre obligatoire permet à mon sens, plus de choses que ce qu’il n’empêche, notamment en termes de découvertes de soi au-delà de ses peurs ou difficultés. La réussite, c’est lorsque la personne ne se sent plus obligée de venir mais qu’elle continue. Elle a goûté et a pris goût…. ” .

Cette formule a été essayée avec succès auprès d’un groupe constitué de femmes en EFT (entreprise de formation par le travail). Le processus didactique lors de l’animation qui a eu pour thème « les addictions » a montré la possibilité de travailler à l’intérieur même d’un cadre contraignant. Quelques conditions sont toutefois nécessaires. Il s’agit de nouer un contrat de respect et de confiance et aussi de créer une réelle dynamique de groupe. Ce dernier point exige la présence d’un nombre minimum et aussi que le groupe soit composé de suffisamment de personnes parlant aisément le français. Il faut également que le thème proposé rencontre la motivation et, pour cela, la concertation avec les intervenants de première ligne est fondamentale, que ce soit pour le choix de la thématique à aborder ou pour déterminer le public-cible.

Une solution intermédiaire consisterait à imposer un nombre minimum de séances à choisir parmi un panel de thèmes différents selon ses affinités et à améliorer la communication en son contenu et en sa forme. D’un côté, il nous faut justifier de la contrainte par la finalité de l’acte et éveiller l’intérêt des personnes, et, d’un autre côté, adapter l’offre pour qu’elle rencontre les motivations en leur état présent Le plaisir immédiat est un dénominateur commun sur lequel on peut miser. Ainsi des activités plus ludiques et de purs loisirs ont du succès si bien qu’on peut imaginer une alternance d’activités de ce type avec des séances plus pédagogiques, à condition - soit que le participant s’engage à suivre activement l’ensemble du cursus en contrepartie et ne puisse effectuer son propre choix au sein du module, - soit que le lien noué avec l’accompagnateur/animateur dans un contexte moins institutionnel, mais aussi avec d’autres participants, suffise à mobiliser les personnes. Ce dernier cas de figure est celui d’une véritable dynamique de groupe qui ne se crée que dans le temps, la continuité et la régularité de sorte que cette perspective ne pourra être envisagée qu’ultérieurement. Les quelques personnes qui ont participé de leur plein gré sont déjà en mouvement, capables de saisir toute occasion pour rompre un peu leur isolement et, de plus, restent sporadiques par rapport à la population-cible.

Il n’est pas plausible d’attendre une participation aux animations librement consentie si l’on refuse de prendre en compte les caractéristiques de la population-cible et si l’on s’obstine, en dépit des évaluations de séances, à poursuivre des buts trop multiples et incompatibles ; attitude qui, par ailleurs, dénie le profil qui se dessine pourtant, celui d’un groupe de parole, d’un espace/temps pour se parler, se comprendre et s’interroger. Les observations soulignent un besoin pressant d’être écouté et entendu et par delà de trouver des supports pour avancer. En résumé, il faut opérer un choix – bien sûr choisir c’est renoncer mais ne pas choisir c’est pire, c’est ne rien faire du tout - entre donner à un grand nombre de personnes, encore faudrait-il qu’elles se manifestent, une information ponctuelle, qui probablement et souvent ne sera qu’une goutte d’eau de plus dans la mer, ou travailler à plus long terme, en profondeur et toucher un nombre plus restreint.

Les premières observations indiquent que l’expérience est porteuse d’espoirs et mérite que des ressources lui soient consacrées. La réflexion invite à se concentrer sur un ou deux groupes pour l’instant afin de tester un projet pilote. A la lumière des travaux de Milton H. Erikson , dont les méthodes semblent tout à fait adaptées au public-cible, les lignes directrices seraient les suivantes :
-    travailler sur du moyen terme dans le but d’un épanouissement personnel sous tous ces aspects
-    constituer des groupes d’une quinzaine de personnes désireuses de se doter de moyens supplémentaires pour tenter de réussir leur vie
-    repérer des candidats et effectuer des entretiens de sélection
-    donner la priorité aux personnes qui en veulent, en dépit du faible background
-    offrir des incitants forts pour pallier le risque d’abandon et négocier l’engagement de la personne dans le processus de formation et ce dans la totalité du cursus et des tâches proposées, y compris en dehors des séances de groupe
-    identifier les besoins de chaque groupe, voire de chaque personne individuellement et concevoir et organiser les animations en fonction de ceux-ci en privilégiant une approche pragmatique plutôt que réflexive
-    alterner avec des activités plus ludiques qui augmentent la cohésion et la motivation et qui apportent aussi une satisfaction immédiate compensatrice des efforts exigés
-    évaluer en début, en milieu et en fin de parcours pour avoir des repères utiles, d’une part, pour mesurer l’efficacité de la formule et, d’autre part, pour permettre à chacun de constater les résultats du travail fourni
-    assurer un suivi individuel à long terme

En conclusion, face aux dégâts psychosociaux de la crise économique dans le Hainaut, la société dans son ensemble doit consentir à un investissement social majeur et la relation contractuelle entre le CPAS et le bénéficiaire du RIS doivent continuer à évoluer de sorte que les droits et devoirs respectifs, encore en grande partie tacites, soient clairement explicités, que chacun sache précisément et concrètement ce qu’il y a lieu de faire. Il ne nous semble pas judicieux de cautionner une volonté (cf. les desiderata de certains intervenants sociaux de première ligne) de mâcher toute besogne aux personnes sous prétexte que c’est la condition pour les appâter. Etant données les caractéristiques du marché de l’emploi, aux offres rares, il est préférable de consacrer prioritairement nos énergies à valoriser les personnes qui sont prêtes à s’investir dans un processus de développement plus ou moins long selon les cas. Il faut travailler dans l’esprit d’une réelle collaboration et développer un partenariat plus étroit encore entre la personne en situation de précarité et l’assistance publique. Animés des valeurs d’entraides, c’est ensemble qu’il faut reconstruire un paysage citoyen de qualité pour tous les habitants de la région. Cet investissement à longue échéance ne peut que s’avérer rentable en terme de mieux-être. Et cette fois, l’effet multiplicateur sera inévitablement positif et, même exponentiel.

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