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Des Etats interventionnistes, modernisateurs et redistributeurs

Des Etats interventionnistes, modernisateurs et redistributeurs


De nombreux auteurs et chercheurs   ont analysé l’établissement de pactes sociaux dans les pays arabes. Malgré des différences notoires, ces derniers partagent un certain nombre de traits qui rendent pertinente une relative généralisation. Ces pactes sont fréquemment fondés sur une approche populiste ou paternaliste de la politique, étayée par des politiques fortement interventionnistes - l’Etat intervient dans tous les secteurs sociaux et économiques. Partis politiques, syndicats et associations professionnelles permettent une large intégration dans les mouvements politiques nationalistes, et servent de base à la régulation du travail, tout en consolidant la prise de pouvoir par de nouvelles élites, dont l’armée constitue le noyau dur. Ces formes de contrat social ont notamment contribué à définir les modes de relations entre Etat et travail – et en particulier les contours du salariat - , à affaiblir la marge de manoeuvre du capital privé, et à engendrer des configurations de pratiques, de normes, d’obligations et d’attentes – sinon de droits -, qui ont marqué deux ou trois générations.
La restriction de la participation, des libertés et droits politiques est en effet contrebalancée par des politiques redistributives, assises sur une rhétorique du solidarisme et du nationalisme (Richards et Waterbury 1998), l’une et l’autre formant la base de légitimité des Etats. Le développement, le progrès, la sécurité économique, le droit au travail, l’amélioration du bien-être social, et la protection sociale au sens large sont érigés au rang de missions, de responsabilités publiques, quoique de façon moins marquée au Maroc, au Liban et en Jordanie qu’en Algérie, en Syrie et en Egypte, par exemple. La protection sociale relève principalement d’une configuration politique de patronage, de redistribution légitimatoire de la part de régimes politiques patrimoniaux et plus ou moins autocratiques. C’est sous le contrôle direct de l’Etat, en sa vertu d’employeur mais aussi d’arbitre ultime, que se sont élaborés les programmes de protection et de sécurité sociales et le droit du travail, en tant qu’outils de régulation de la force de travail mais surtout de régulation politique. Toutefois, si ces interventions ont modelé l’intégration au salariat de portions importantes de la population active, elles ont aussi laissé en dehors de leur champ de nombreux groupes sociaux.
Ces types de contrats sociaux, dans leur forme la plus caractéristique, s’inscrivent dans des contextes économiques largement financées par des sources de revenu exogènes et dont le fonctionnement s’apparente – au moins partiellement - à celui d’économies rentières (Beblawi et Luciani 1987, Destremau (ed.) 2000). Dans les pays exportateurs de main d’œuvre, les revenus privés sont fortement subventionnés par les rapatriements d’épargne des travailleurs migrants. Quant aux revenus publics, ils proviennent pour une bonne partie de pures rentes (pétrole et autres minerais, revenus financiers, canal de Suez, etc…), de l’aide extérieure, de retombées touristiques et de revenus douaniers, alors que la fiscalité intérieure y pèse peu. C’est à cet égard que l’on ne pourra réellement parler d’Etat providence, au sens ouest-européen du terme, quelle que soit la dimension redistributive et interventionniste de ces Etats, et c’est pour cette raison que les divers dispositifs publics de protection sociale s’avèreront si vulnérables au cours des années de crise. Il demeure que le système fonctionne pendant deux voire trois décennies, assez longtemps pour réduire considérablement la pauvreté et les inégalités, faire progresser les indicateurs sociaux de façon très rapide, et assurer la stabilité des Etats en place. Bien que sur des bases elles aussi fragiles, il contribuera à ériger les bases de la cohérence nationale et de la cohésion sociale. 
Suite à la chute des prix du pétrole, les années 1990 et 2000 sont celles de la récession, de l’ajustement et de la libéralisation de l’économie. Les États appauvris ne peuvent plus se permettre de financer de larges et généreux dispositifs sociaux. Les contraintes budgétaires, particulièrement lorsqu'elles sont rationalisées dans le cadre des programmes d'ajustement, les poussent à tendre vers une économie maximale des moyens publics, la réduction des effectifs, la privatisation des entreprises publiques… Ils gardent néanmoins une fonction sociale importante: d'une part, l'aménagement de la transition vers une logique de marché rend nécessaire le maintien de services éducatifs, sanitaires, de formation et de logement qui favorisent la valorisation du capital humain; d'autre part, la gestion des tensions provoquées par l'appauvrissement repose sur des dispositifs d'aide sociale désignées sous l'appellation de "filets sociaux de sécurité" (FSS).
La crise économique et la réforme de l’administration publique ont remis en cause les formes du pacte social de la période de prospérité et la cohérence qui s'était établie entre économique et politique. Les tensions qui traversent quasiment tous les pays de la région s'enracinent autant dans cette nouvelle incohérence, et dans des attentes insatisfaites vis-à-vis des fonctions sociales de l'État que, étroitement, dans la perte de pouvoir d'achat des ménages.

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